L'Équipe de France Féminine de basket fauteuil. Crédit : @basketfauteuilauféminin

Basket fauteuil féminin : l’exigence du haut niveau malgré tout

Le basket fauteuil est un sport rapide, technique et spectaculaire, porté par des joueuses qui avancent souvent… seules. Les Françaises ont fait tourner les roues de l’espoir, lors des derniers Championnats d’Europe (8–18 octobre), où tout restait à prouver. À Sarajevo (en Bosnie-Herzégovine), les ballons rebondissaient, les fauteuils crissaient, et les échos de la Marseillaise résonnaient dans un gymnase presque vide. Pas de tribunes pleines, pas de caméras, peu de bruit, mais une intensité folle. 

La Team FRANCE FÉMININE prête pour les Championnats d’Europe à Sarajevo. Crédit : @basketfauteuilauféminin

Le Championnat d’Europe de basket fauteuil féminin a rappelé une vérité simple et brutale : l’Équipe de France avance, portée par la passion, freinée par le manque de moyens, mais animée par une détermination rare.

Ces Bleues-là ne sont pas des vedettes. Elles n’ont ni sponsors clinquants, ni salaires en club, ni agents pour gérer leur carrière. Elles jonglent entre études, travail, vie perso, soins, entraînements, déplacements… et un matériel qui coûte parfois plus cher que leur voiture.

Et pourtant, elles traversent l’Europe pour représenter la France. Pour exister. Pour montrer que le sport handi n’est pas un « sous-sport », mais un espace de performance totale.

Le Pôle France : rigueur, intensité… et débrouille

Le cœur battant de la discipline se trouve au Pôle France du CREPS de Bordeaux, un centre où s’entraînent les meilleures joueuses et joueurs de demain. Là-bas, une journée ressemble à celles de n’importe quel centre de formation de haut niveau :

• prépa physique le matin,

• fondamentaux, manipulation de fauteuil, dextérité, shoot,

• jeu collectif l’après-midi,

• matchs

Un rythme professionnel… sans la structure qui va avec.

Pour Camille Debard, 24 ans, internationale pour la première fois cette année, le constat est simple :

« La mixité au Pôle est contraignante… Les garçons sont plus rapides, plus physiques. Ça nous pousse, mais on manque d’une équipe 100 % féminine pour créer de vrais repères.»

Apprendre, progresser, s’accrocher : la base de ce pôle où très peu de joueuses arrivent déjà aguerries. Camille, amputée après un cancer, n’avait jamais utilisé un fauteuil avant de commencer le basket à 19 ans. « C’est super compliqué. J’ai dû tout apprendre, même pousser un fauteuil, car pendant ma rééducation, j’étais en béquilles ». Cinq ans plus tard, elle joue l’Euro.

Camille Debard, 24 ans, évolue en tant que pivot en Équipe de France. Crédit : Camille Debard / DR.

Sarajevo : obstacles, silence… et moments de grâce

Avant même de rouler sur le parquet des Balkans, le décor était planté : la compagnie aérienne refuse d’embarquer autant de fauteuils de ville dans un même vol. Résultat : les joueuses sont éparpillées sur plusieurs départs, et le coach contraint de faire la route en minibus, avec les équipements. La réalité du sport handi. Pas la caricature.

Sur place, les Bleues atterrissent en terrain austère. Aucun supporter français. Aucune ambiance bleue en tribunes. En face, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Espagne voyagent avec familles, staff élargi, kinés, et une énergie digne d’une grande compétition. Sur le terrain, le fossé se confirme :

On a joué contre des filles qu’on regarde à la télé… elles sont hyper impressionnantes. Chaque équipe a son propre jeu » confie Camille.

Les Néerlandaises, professionnelles, déroulent un jeu chirurgical. Des coéquipières qui se connaissent par cœur. Elles sortent d’ailleurs vainqueurs de la compétition. 

Elles s’entraînent trois fois par semaine ensemble, elles vivent le basket ensemble. Avec un tel cadre professionnel, elles se dépassent naturellement, en plus d’être payées pour performer ».

L’Allemagne impose une intensité physique impressionnante. « On manque de physique, sur ce match on s’est faite bouffer » reconnaît la joueuse tricolore. La France, elle, arrive jeune, en construction, et sans vécu commun. Résultat : aucune victoire, mais une moisson d’apprentissage. « En Europe, on sait que ça va être très compliqué. C’est pas perdu d’avance, mais on connaît l’écart », souffle Camille.

Les Bleues impuissantes face à la démonstration des Pays-Bas (91-24), reines du basket fauteuil européen. Crédit : IconSport.

Un sport exigeant… mais trop seul

Le basket fauteuil est un sport technique, physique, spectaculaire. Ce que beaucoup ignorent (ou pire, ils ferment les yeux) : son coût. Un fauteuil haut de gamme coûte entre 8 000 et 12 000 €. Camille détaille son parcours du combattant pour s’équiper :

Elle a d’abord emprunté une chaise de ville à une de ses coéquipières (pour ne pas s’épuiser physiquement en prothèse lors des déplacements). Ensuite, elle se voit débourser 7400 € pour un fauteuil de sport « bas de gamme » dit-elle. « Je roulais avec un RGK All Star alors que les trois quarts des compétitrices ont un RGK Elite ou Elite X. »

Une partie est prise en charge par la sécurité sociale, la mutuelle ainsi que la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées). Elle a aussi pu compter sur l’aide de l’association « Basket Fauteuil au féminin », créée par Anne-Sophie Rubler et Marion Blais, joueuses de l’équipe de France. Le reste est comblé par sa cagnotte en ligne…  

Tout ça pour avoir… son outil de travail. Imagine-t-on un(e) athlète de haut niveau devoir financer ses chaussures et/ou son matériel par une cagnotte en ligne ? C’est le quotidien invisible des athlètes handi et le matériel n’est que la partie visible du problème :

– peu de visibilité médiatique

– peu de clubs avec sections féminines

– peu de compétitions régulières entre femmes

– sélections instables

– moyens institutionnels limités.

Frédéric Guyot (ancien sélectionneur démissionnaire peu avant Sarajevo) confiait à ses joueuses :

On fait du handisport. Et du handisport féminin. On est tout en bas de la chaîne alimentaire du sport. J’ai peu d’espoir que ça bouge plus que ça. »

Le rapport d’enquête « État général du basket fauteuil féminin français » publié en janvier 2025, par A.S. Rubler et M. Blais (Association Basket Fauteuil au Féminin) dresse un constat sans appel : la discipline est en sous-régime.

Seulement 12 % de femmes licenciées, des joueuses peu formées, confrontées au sexisme et des moyens très limités. Frustrées par ces inégalités, les Bleues avaient écrit en août au Directeur Technique National de la fédération Handisport, Grégory Saint-Géniès, pour proposer sept mesures visant à restaurer un climat de confiance. Une lettre restée sans réponse jusqu’à leur révélation au journal L’Équipe (début octobre).

Dans son courrier, le DTN reconnaît des « inégalités structurelles » mais défend une logique d’« équité » visant à concentrer les moyens sur les collectifs les plus performants. Il cite des initiatives déjà mises en place (championnats mixtes et féminins, circuit 3×3, pôle U23 féminin) et promet un soutien progressif, tout en conditionnant l’accompagnement à la performance. En clair, une réponse tardive qui n’apporte pas de solutions…

Le message derrière la performance

Malgré les obstacles, les Bleues avancent. Elles travaillent. Elles progressent. Beaucoup de jeunes arrivent dans la discipline, attirées par la dynamique post-Paris 2024 et par les modèles inspirants que deviennent, malgré tout, les joueuses actuelles. Les mots Frédéric Roeland sont encourageants. Le coach des françaises insiste sur la courbe de progression constatée depuis plusieurs mois : « On progresse chaque semaine. On travaille beaucoup sur la communication, la rigueur défensive. L’enjeu, c’est de maintenir ces exigences dans l’intensité d’un championnat. »

Camille résume parfaitement l’esprit de ce groupe : « J’avais des préjugés, je pensais que le basket fauteuil c’était lent. Pas du tout. C’est physique, c’est intense ! Il faut juste essayer. »

Alors oui, la France est loin des grandes nations européennes. Oui, il manque un projet clair, des moyens, une structuration digne du haut niveau. Mais Sarajevo a montré autre chose : un potentiel immense, une génération motivée, un sport qui mérite mieux que l’ombre dans laquelle il évolue.

Toutes ces embûches ne caractérisent pas ces joueuses. La résilience, la passion du jeu, l’ambition de progresser les définissent. Le basket fauteuil n’est pas un sport différent. C’est du basket. Du vrai. Et il est temps qu’on le regarde comme tel.

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