Sports Illustrated, pionnier des hebdomadaires américains, a su tisser une narration puissante autour du basketball. Ses couvertures sont devenues une étape incontournable pour chaque grande star ou futur prodige de la Ligue. Comme une vitrine, les façades des magazines attirent, intriguent et imposent un style. De Sports Illustrated à GQ, en passant par SLAM, « Face à la couv » retrace comment ces choix visuels ont façonné l’imaginaire NBA.
Quand le basket s’impose dans un média sportif
En août 1954, Sports Illustrated (SI) publie son tout premier numéro. En couverture : Eddie Mathews, star de l’équipe de baseball des Milwaukee Braves. Le ton est donné : ce nouvel hebdomadaire veut documenter le sport dans toute sa diversité, mais le basket est encore loin d’être au centre du jeu.
La NBA n’a alors que cinq ans. Encore fragile après la fusion entre la BAA et la NBL, elle reste à la traîne face aux poids lourds que sont le baseball et le football américain. Il faudra attendre 1956 pour qu’un joueur de NBA fasse enfin la Une : Bob Cousy, auréolé d’un titre “sobre” : Le génie du basketball.
Ce titrage n’est pas anodin. Longtemps, être en couverture de Sports Illustrated a signifié une chose simple : la réussite. Dans l’imaginaire collectif américain, apparaître en Une du magazine revenait à franchir un seuil symbolique : celui de l’athlète devenu figure publique, personnalité reconnue au-delà du terrain. Plus qu’une exposition médiatique, c’était une forme d’adoubement culturel, la preuve que l’on avait marqué son époque.

Depuis ses débuts, « SI » s’est imposé comme un baromètre de la grandeur sportive. Sa couverture, souvent épurée, évite l’anecdotique afin de mieux souligner l’instant-clé : une performance historique, un retour inattendu, une prise de position forte. À cette reconnaissance visuelle s’ajoute une consécration éditoriale : le titre de Sportif de l’année, attribué depuis 1954. Michael Jordan (1991), LeBron James (2012, 2016), Stephen Curry (2022)… Tous ont reçu cet honneur à des moments charnières, comme pour figer le passage du joueur à la légende.
La couverture comme acte narratif
Et pour chaque légende se cache un conteur chargé de la faire perdurer dans le temps. Les couvertures cachent un récit qu’il tarde au lecteur de découvrir. Lew Alcindor y était apparu en 1969 avec pour titre : “Mon Histoire”, deux ans avant de changer son nom pour devenir le reconnu Kareem-Abdul Jabbar. « Le joueur de 22 ans était rookie chez les Bucks et il avait déjà beaucoup à dire », d’après un article de SI.
Mais toutes les couvertures ne passent pas par les mots. Certaines se contentent d’une image et d’un cri. Celle du 31 mai 1982, avec Julius Erving en pleine extension au-dessus des Boston Celtics, en est l’un des exemples les plus éclatants.

Cette photo est tout sauf anodine : Julius “Dr. J” Erving est figé, dunkant avec une grâce cynique sur la défense des Celtics au TD Garden. Le titre « TAKE THAT, BOSTON ! » crie la revanche des Philadelphia 76ers dans l’une des rivalités les plus féroces des années 80. Juste en dessous, « Dr. J Jams The Jinx » se pose là comme celui qui brise une malédiction après la défaite en six matchs de 1981 face aux mêmes C’s. Scott Pianowski, journaliste sportif se remémore sa jeunesse, « Je ne peux pas dire que j’ai un souvenir précis de ce dunk. Je sais toutefois qu’il a bien eu lieu, car il est immortalisé sur une couverture spectaculaire du magazine Sports Illustrated. Avant que la NBA ne soit pleinement télévisée, le bouche-à-oreille transmettait la maxime « Dr. J brise la malédiction ». Les 76ers seront battus en finale cette année-là mais remporteront le titre l’année suivante.
Cette formule encapsule l’essence de la couverture : non seulement elle immortalise l’exploit, mais elle en transmet le souffle médiatique. Elle écrit un récit que la communauté sportive s’approprie.
The Greatest Show On Court
Et ce ne sont pas les Sacramento Kings qui pourraient contredire cette affirmation. Leur Une « Le plus grand spectacle sur le terrain » résonne comme une profession de foi : non pas un hommage aux superstars, mais une invitation à redécouvrir un basket vivant, généreux, collectif. Byron Scott, ancien joueur des Lakers, le résumait parfaitement : « Si vous vouliez amener quelqu’un à un match pour lui faire aimer la NBA, le premier endroit où l’emmener, c’est Sacramento.»

Sans fêter une victoire ni saluer une carrière, la couverture érige ici une philosophie. Elle cristallise cette idée forte que le spectacle ne repose pas uniquement sur un talent individuel, mais plutôt sur une alchimie.
Les grandes attentes et les déçus
Faire passer un joueur à la postérité n’est pas chose aisée, mais parfois, une simple promesse suffit. En février 2002, c’est un lycéen de 17 ans qui s’invite en première page : LeBron James, bouche grande ouverte, yeux écarquillés, presque théâtral, auréolé du titre d’ « Élu ». Sûrement l’une des couvertures de magazine les plus célèbres de l’histoire du sport, bien aidée, il est vrai, par les exploits à venir du joueur.

LeBron James a porté ce surnom de « The Chosen One » pendant un moment. Pourtant, à l’époque, même ceux qui l’ont mis sur le devant de la scène savaient qu’ils jouaient avec le feu. « J’étais inquiet », racontait le journaliste Grant Wahl. « On allait peut-être détruire la vie de ce gamin en le mettant en une. C’est une chose de faire un papier à l’intérieur du magazine, mais c’est autre chose de le mettre en une, avec « L’Élu », en titre. Détruire sa vie est peut-être un peu fort, mais on savait qu’avec cette une, sa vie ne serait jamais la même après. La pression serait encore plus forte. »
Heureusement, Sports Illustrated avait vu juste : LeBron n’a pas seulement tenu ses promesses, il les a pulvérisées. Et il n’était pas un cas isolé. Kevin Garnett aussi avait eu droit à sa couverture dès le lycée, cette fois avec un titre moins assuré : “Ready or Not…?” comme une question suspendue. Une prudence éditoriale révélatrice : et s’il ne l’était pas ?
Connaissez-vous Emoni Bates ? Annoncé un temps comme le futur n°1 de la draft 2023, l’ailier de 2,08 m terrorisait les défenses au lycée, avec des comparaisons précoces (et périlleuses) avec Kevin Durant. En 2019, au début de sa seconde saison lycéenne, il devient la nouvelle tête d’affiche de SI. Pour le journaliste Michael Rosenberg, le choix était limpide : « Nous n’exagérons pas les mérites d’Emoni Bates. Je sais que cela peut sembler être le cas. Mais il est vraiment l’un des meilleurs joueurs de 15 ans de tous les temps, peut-être même le meilleur. […] Bates est déjà tellement doué qu’il serait très surprenant qu’il ne devienne pas un joueur All-Star. »

Mais la prophétie inscrite à côté de sa photo “Born for This” ne s’est jamais réalisée. Une première saison NCAA en demi-teinte, un transfert inattendu vers un petit programme (Eastern Michigan), des problèmes extra-sportifs… et voilà le phénomène relégué à la 49e position de la draft.
Le jeune ailier a sans doute été victime de cette exposition médiatique démesurée : faire la première page d’un tel monument peut parfois s’apparenter à un cadeau empoisonné. L’image est puissante, mais tous n’ont pas les épaules pour la porter. N’est pas le King ou le Big Ticket qui veut.
Un Graal encore convoité
Et pourtant, la magie reste intacte. Aujourd’hui encore, des jeunes joueurs comme Cooper Flagg ou Victor Wembanyama affichent fièrement leur couverture Sports Illustrated comme une forme d’accomplissement. Comme un palier franchi dans l’ascension. Le magazine ne consacre pas seulement une performance : il entérine une promesse. Il ne dit pas que vous êtes déjà une légende, mais que le monde entier attend désormais que vous le deveniez.