Si le mot fidélité devait être illustré dans le dictionnaire, une photo de Paulius Jankunas serait probablement l’une des plus appropriées. Car oui pendant près de deux décennies, que ce soit dans la gloire ou dans la galère, l’ailier fort lituanien a incarné le cœur et l’identité du Zalgiris Kaunas. Coaché tour à tour par Antanas Sireika ou Sarunas Jasikevicius, passé d’un vestiaire partagé avec Arvydas Sabonis à celui d’un Josh Nebo, Jankunas a traversé les générations sans (presque) jamais quitter le parquet de la Zalgirio Arena.
À une époque où les carrières s’écrivent sous de nombreux maillots, Jankunas a bâti la sienne en vert et blanc devenant le symbole d’un club, d’une ville, et d’une nation tout entière tournée vers le basket. Nous revenons aujourd’hui sur le parcours d’un monument discret de la Lituanie et d’une légende de l’EuroLeague.
Un style de jeu aux reflets de la Lituanie

Formé à Kaunas, l’école lituanienne du basket, Paulius Jankunas a très tôt intégré les valeurs fondamentales qui définissent le style de jeu lituanien : discipline, lecture du jeu et justesse technique. À son poste d’ailier fort, il n’a jamais brillé par une explosivité ou une quelconque qualité physique, mais par une intelligence de placement et une capacité à toujours faire le bon choix. À ses débuts, il s’imposait par sa solidité au poste bas, capable de scorer en un contre un et de provoquer des fautes.
Mais avec les nouvelles exigences que lui imposaient son poste, il a rapidement fallu qu’il fasse évoluer son jeu, en intégrant un tir à mi-distance fiable et en devenant une menace extérieure plus marquée à partir du début des années 2010. Ce développement lui a permis de rester pertinent dans un basket en constante évolution, où le spacing et les tirs à 3 points sont devenus de plus en plus centraux.
Solide physiquement, doté d’un haut QI basket, il défendait avant tout avec ses jambes et sa tête. Toujours bien positionné, il excellait dans les aides défensives, les fermetures de lignes de pénétration et les rotations défensives. Sa lecture du jeu sans ballon lui permettait d’arriver au bon endroit, au bon moment. Un savoir-faire précieux dans le système défensif de la Lituanie et du Zalgiris, basé sur l’anticipation et la discipline collective.
Face à des postes 4 plus rapides ou mobiles, il compensait son manque de vitesse latérale par un sens du placement et un contrôle du tempo défensif. Il ne cherchait pas le duel physique, il cherchait l’angle, la fermeture des espaces, tout en évaluant le timing adverse. Face à des intérieurs plus imposants, il pouvait tenir le duel au poste bas. Il était assez loin d’être un défenseur d’élite, il se faisait vite déborder quand ses adversaires rajoutaient de la vitesse, mais il restait un très bon joueur de système.
Une boussole pour le Zalgiris dans les années de doutes
La fin des années 2000 marque l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire du Zalgiris Kaunas. En 2008, le club se retrouve au bord de la faillite. Un retard de versement des 5,2 millions de litas promis par la municipalité menace directement le paiement des salaires. Certains joueurs envisagent alors de saisir la FIBA pour rupture de contrat, et la saison semble perdue avant même d’avoir commencé. Un prêt de la ville sauve temporairement l’équipe, mais le mal est profond.
L’année suivante, un nouveau visage prend les rênes en la personne de Vladimir Romanov, banquier et homme d’affaires controversé, propriétaire de l’Ukio Bankas. S’il promet de stabiliser les finances, ses méthodes et sa gestion vont vite semer le chaos. Capricieux dans ses décisions, il change d’entraîneur à un rythme effréné, se mêle directement des choix tactiques, et pousse même à des campagnes médiatiques étranges.
La crise économique frappe de plein fouet le club, et en 2009, pour éviter un effondrement total, le Zalgiris voit plusieurs de ses cadres quitter le navire : Jonas Maciulis, Marcus Brown, DeJuan Collins, Loren Woods… mais aussi Paulius Jankunas s’en vont, laissant le club dans une situation où il est en sursis. La situation devient si critique que Romanov lance l’initiative « We are Zalgiris« , sollicitant les supporters pour contribuer financièrement, à hauteur de 100 litas chacun (environs 20 euros), afin de payer les salaires et de maintenir l’équipe à flot.
Si cette démarche choque une partie de l’opinion, elle témoigne surtout du désarroi dans lequel se trouve le Zalgiris Kaunas. Dans ce contexte tendu, Paulius Jankunas vit une situation très délicate. En effet, l’ailier fort alors âgé de 26 ans, fait ses bagages pour le BC Khimki Moscou pour éviter une situation sportive et économique pour le moins précaire.
Mais l’histoire entre Jankunas et le Zalgiris n’est pas close. Dès 2010, après une saison en Russie, il choisit de revenir à Kaunas, malgré une instabilité encore pesante et des finances encore fragiles. Motivé par l’amour de ce maillot, il veut aider le club à se relever. Les saisons suivantes sont un mélange de succès nationaux et de désillusions européennes, avec des effectifs complètement remaniés à chaque été.

En coulisses, les finances restent dans le rouge, et en 2013, tout bascule. La faillite de l’Ukio Bankas précipite la chute de Romanov, qui fuit le pays pour échapper à des accusations de fraude et de détournement. Le Zalgiris se retrouve brutalement sans propriétaire et avec des dettes importantes. C’est le vice-président Paulius Motiejunas qui reprend les commandes dans l’urgence, négociant avec les créanciers pour sauver la licence EuroLeague. Et c’est cet évènement qui va marquer le début de la reconstruction du club lituanien.
Le Zalgiris et Jankunas voit enfin la lumière à Belgrade
Après le départ de Vladimir Romanov et de Joan Plaza en 2013, le Zalgiris entre dans une période de transition marquée par une instabilité sur le banc, avec plusieurs changements d’entraîneurs entre 2013 et 2016. Malgré des difficultés en EuroLeague, le club lituanien maintient sa domination nationale en LKL mais aussi sur les deux coupes nationales que sont la Coupe LKF et la King Mindaugas Cup.
Cette phase de reconstruction s’accompagne de l’arrivée de joueurs clés comme Justin Dentmon, James Anderson, Kevin Pangos ou encore Antanas Kavaliauskas, tout en intégrant de jeunes talents lituaniens comme Lukas Lekavicius ou Edgaras Ulanovas. A 32 ans, Paulius Jankunas atteint quant à lui l’un des meilleurs niveaux de sa carrière, il tourne régulièrement à plus de 10 points de moyenne en EuroLeague, et est probablement le meilleur joueur du Zalgiris sur le parquet, et il ne manque pas grand-chose pour que le Zalgiris passe ce cap en EuroLeague.
Et ce pas grand-chose, c’est « Saras » alias Sarunas Jasikevicius. En janvier 2016 après avoir passé 2 ans sur le banc en tant qu’assistant, l’ancien meneur du club et légende lituanienne prend les rênes de cette équipe. Son exigence et sa rigueur tactique et sa très bonne entente avec son ancien coéquipier et capitaine Paulius Jankunas qui relaie pour lui les consignes sur le terrain vont permettre au Zalgiris de signer un bilan très prometteur lors de la saison 2016-2017, avec un bilan de 14 victoires pour 16 défaites, mais surtout de 8 victoires pour 4 défaites après que « Saras » ait été nommé entraineur en chef.
Mais les satisfactions ne s’arrêtent pas là, puisque au-delà du bilan, ce sont des victoires de prestiges que sont allées chercher les coéquipiers de Paulius Jankunas, d’abord contre le CSKA Moscou, puis contre le Panathinaïkos, et puis contre Baskonia lors de la dernière journée, qui étaient respectivement 2ème, 4ème et 6ème de la première phase. Quant à Jankunas, il continue de s’affirmer tout en gagnant en régularité. Un match à 30 points face au CSKA, 7 matchs à plus de 20 points cette saison en EuroLeague, mais surtout 1 seul match à moins de 10 points depuis que « Saras » est devenu le coach de cette équipe.
Aucun doute le Zalgiris et Jankunas sont dans une forme qu’ils n’avaient pas acquise depuis un bon moment, mais il ne fallait pas attendre trop longtemps pour créer l’exploit en EuroLeague car à 33 ans, la chute peut arriver vite et peut être très brutale… La saison 2017-2018 marque l’apogée du projet amorcé quelques années plus tôt. L’été est agité, avec une série de départs majeurs : Brock Motum, Léo Westermann, Robertas Javtokas, et Augusto Lima quittent le club.
Pour compenser ces départs, de la jeunesse et de gros espoirs européens. Un certain Vasilije Micic arrive pour couvrir le poste de meneur en provenance de Tofas, Axel Toupane et Bradon Davies arrivent quant à eux de Monaco et sont prêts à intégrer cette rotation très dense. Pour terminer, Aaron White, le poste 4 américain va faire ses débuts en EuroLeague après 4 années pleines de cursus universitaire et une saison intéressante du côté du Zénit. Un effectif qui est donc pleinement remanié, très jeune mais qui est malgré tout très prometteur sur le court terme, si « Saras » arrive à trouver le moyen de faire jouer tout ce beau monde ensemble.
Du côté de la direction, Javtokas, fraîchement retraité, intègre la direction sportive et parviendra à signer un accord avec Avia Solutions Group pour bénéficier de vols privés en Boeing 737 rénovés lors des déplacements européens, un confort nécessaire quand on a de lourdes ambitions européennes. Après un départ hésitant en EuroLeague, l’équipe trouve son rythme et boucle la phase aller sur un excellent 10-5. Et malgré le départ de Dee Boost au milieu du mois de janvier, le Zalgiris maintient le cap vers les playoffs avec une grosse montée en puissance à la fin de la saison régulière.
Le symbole de cette montée en puissance n’est autre que Paulius Jankunas qui va tourner à 15,8 points et 4,2 rebonds de moyenne sur les 5 derniers matchs de la saison. On notera notamment le dernier match de la saison dans le chaudron de l’Olympiakos où le poste 4 lituanien viendra planter 15 points à 87,5% de réussite au shoot mais avec surtout une jolie claquette à 3 secondes de la fin pour offrir la victoire au Zalgiris. Comble de l’histoire, cette claquette permettra au club lituanien de finir 6ème de la saison régulière (avec un bilan de 18-12) et retrouvera donc, par conséquent, au 1er tour des playoffs, l’Olympiakos.
Le Zalgiris, qui a donc obtenu pour la première fois depuis 2001 son ticket pour les playoffs de la plus grande compétition continentale, se retrouve face au dernier finaliste de cette même compétition, l’Olympiakos, toujours porté par l’expérimenté Vassilis Spanoulis. Une montagne à surmonter qui plus est sans l’avantage du terrain. Mais dès le game 1, les Lituaniens vont surprendre tout le monde. Menés de 11 points dès le premier quart, les Lituaniens refont surface grâce à une défense resserrée et la détermination du duo Brandon Davies (21 pts, 8 rebonds) et Kevin Pangos (20 pts, 6 passes).
Ils reprennent déjà l’avantage du terrain après des prolongations à sens unique pour sceller leur victoire 87 à 78. Le game 2 est quant à lui à sens unique à l’avantage de l’Olympiakos qui l’emporteront 79 à 68. Dans le game 3, les verts et blancs remettent les pendules à l’heure, Brandon Davies porte une nouvelle fois cette équipe avec 18 points et Paulius Jankunas va nous sortir son seul bon match de cette série avec un joli 13-6-3 à 100% au shoot. Victoire de Kaunas 80 à 60.
Le Zalgiris conclut la série sur une grosse victoire 101-91, s’offrant ainsi une qualification historique pour le Final Four avec encore une fois un excellent Kevin Pangos auteur de 21 point. Cette série victorieuse a permis à certains joueurs de briller comme Kevin Pangos ou Edgaras Ulanovas, et à d’autres de se révéler comme Brandon Davies (auteur de 3 matchs à plus de 18 points). Paulius Jankūnas, lui, n’a pas affolé les statistiques. Mais à 34 ans, le capitaine lituanien n’avait pas encore dit son dernier mot…

Le Zalgiris découvre la scène la plus prestigieuse d’Europe après près de deux décennies d’absence. Malgré une belle résistance, les Lituaniens s’inclinent 76-67 face à l’armada turque de Zeljko Obradovic, portée par Kostas Sloukas et Ali Muhammed. L’expérience et la densité défensive du Fenerbahçe ont fait la différence, sans compter qu’il est compliqué de gagner un match avec une absence totale d’efficacité longue distance (20% pour les Lituaniens). Et le score est assez clément au vu de l’écart de niveau qu’il y avait ce soir-là entre les deux équipes.
Dans le match pour la troisième place du Final Four 2018, le Zalgiris Kaunas affrontait le CSKA Moscou. Pour le club lituanien, déjà auteur d’un parcours historique, l’enjeu était d’achever son retour au sommet par une victoire de prestige face à l’un des géants de l’EuroLeague. Pendant les deux premiers quarts temps, les deux équipes se sont jaugées, et Jankunas semble enfin avoir repris du poil de la bête.
Le tournant intervient au troisième quart-temps. Les hommes de Sarunas Jasikevicius enchainent de grosses séquences défensives et capitalisent sur des points de leurs intérieurs. Jankunas sort du 3ème quart-temps avec 13 points au compteur et le Zalgiris va compter jusqu’à 23 points d’avance en début de 4ème quart-temps, avant que… Avant qu’un scénario digne des plus grands films ne vienne faire son apparition. Alors qu’on pensait le match terminé, les joueurs du Zalgiris vont enchainer les pertes de balles et les shoots forcés.
La lucidité n’y est plus côté lituanien et pendant ce temps-là, Cory Higgins, Mikhail Kulagin et Othello Hunter enchainent les paniers et collent un 25-4 en l’espace de huit minutes. Le CSKA aura même une balle de match à 2 secondes de la fin, avec Semen Antonov qui tentera un shoot derrière le logo mais qui tombera à droite de l’arceau. Une fin de match chaotique mais qu’importe pour les supporters et Jankunas qui laissent couler de belles larmes après tant d’années d’attentes et de galères, c’est leur moment.
Après le Final Four 2018, Paulius Jankunas aborde la fin de sa carrière l’esprit plus léger, comme libéré d’un poids. Les saisons suivantes sont moins glorieuses pour le Zalgiris, et le capitaine, freiné par l’âge et les blessures, voit son rôle sur le terrain diminuer. En 2022, après 19 saisons et plus de 450 matchs d’EuroLeague, il prend sa retraite et rejoint la direction du club, prolongeant son engagement envers le Zalgiris sous une autre forme, celle de General Manager, prenant la succession Paulius Motiejunas, après l’avoir assisté pendant plus d’une année.