Au début des années 2000, le Tau Cerámica Vitoria (futur Baskonia) s’impose progressivement comme l’un des clubs phares du basket européen. Dans cette ascension, marquée par des titres nationaux et des campagnes européennes de haut vol, un duo d’intérieurs va cristalliser l’ambition du club espagnol : Luis Scola, arrivé d’Argentine dès 1999, et Tiago Splitter, jeune prodige brésilien formé à Vitoria au début des années 2000.
D’abord mentor de Splitter, Scola incarne la rigueur et l’expérience d’un joueur déjà confirmé sur la scène européenne. De son côté, le Brésilien apprend vite et bien, si bien qu’une vraie complémentarité naît entre ces deux joueurs, sous l’oeil aguerri de Dusko Ivanovic. Ensemble, ils forment une raquette redoutée dans toute l’Europe, capable de dominer physiquement comme techniquement.
Sous l’aile du maestro argentin, Tiago Splitter fait ses débuts en Europe

C’est un heureux concours de circonstances qui va placer Tiago Splitter sur le radar des recruteurs de Baskonia. À seulement 14 ans, le jeune pivot évolue au centre de formation d’Ipiranga, où il se mesure déjà à des joueurs qui ont 3 voire 4 ans de plus que lui. Bien qu’il fasse partie des meilleurs éléments de sa génération, il doit encore se faire une place parmi les nombreux espoirs qui peuplent alors le vivier brésilien au poste 5.
Il n’est pas retenu dans un premier temps pour intégrer le groupe, mais la blessure de deux compatriotes lui ouvre in extremis les portes de la sélection U16 brésilienne pour jouer la coupe continentale. Envoyé en renfort, il est largement le plus jeune de la sélection et est alors destiné à occuper le bout du banc, sans grandes attentes autour de son rôle. Comme prévu, il joue très peu durant la compétition. Pourtant, un recruteur de Baskonia le suit avec une attention particulière.
Il sait que le jeune intérieur est en avance sur son âge, qu’il possède déjà un gabarit impressionnant et, surtout, qu’il montre une rare aisance technique des deux mains pour son poste et son âge. A la fin de la rencontre, le recruteur lui propose des essais à Vitoria, et très surpris par cette annonce, Tiago accepte et fait ses valises pour l’Espagne. Pendant ces essais, Tiago est entouré de plein d’autres adolescents et c’est finalement son jeu très brutal qui va pousser le club espagnol à le recruter avec un contrat qui s’étale sur 10 ans, convaincu qu’ils tiennent une pépite qu’il ne reste plus qu’à façonner.
Mais Splitter n’est bien évidemment pas encore prêt pour affronter le très haut niveau européen. Conscient de son immaturité physique et tactique, Baskonia décide d’adopter une stratégie de développement patiente en l’envoyant dans des divisions inférieures. Il fera d’abord une saison à Araba Gorago Álava, petit club basque affilié à Baskonia, puis il passera deux ans à Bilbao, en deuxième division espagnole. Il s’endurcit physiquement et mentalement et gagne en maturité face à des joueurs plus expérimentés.
À Bilbao, Splitter se forge une véritable identité de jeu, il devient un intérieur dur au mal, précieux en défense, actif au rebond et toujours aussi efficace près du cercle. Il est enfin prêt à jouer pour Baskonia dans un groupe solide où sont présents des noms comme Andres Nocioni, Jose Calderon, ou encore Luis Scola qui sort de deux saisons à plus de 15 points de moyenne en Euroleague.
L’Argentin, qui est alors une figure centrale du club, devient rapidement un repère pour Splitter, autant sur le terrain qu’en dehors. Dès les premiers entraînements, Scola adopte une posture de guide. Il conseille le jeune Brésilien, le prend sous son aile et lui montre comment s’adapter aux exigences tactiques du haut niveau européen, si bien qu’il commence à intégrer progressivement la rotation du club espagnol avec un temps de jeu très irrégulier d’un match à un autre.
La saison suivante (2004-2005), il voit son rôle s’élargir. Profitant de quelques absences dans la raquette, il gagne en temps de jeu et montre une progression constante. Il termine la saison avec 7 points et 4,5 rebonds en Euroleague, en un peu plus de 15 minutes par match. Ainsi il participe activement au parcours européen du club, qui atteint cette année-là les demi-finales de l’Euroleague à Moscou, les premières d’une longue série, pour le club basque…
Baskonia 2005-2007 : Les grandes heures du duo sud-américain

Dès la saison 2005-2006, Tiago Splitter devient un membre à part entière de la rotation de Baskonia. Le jeune pivot brésilien, après deux années de progression, obtient un rôle bien défini : suppléer son mentor Luis Scola dans la raquette, et offrir à son équipe un relais solide au poste 5. L’Argentin est alors à son apogée européenne, première option offensive du club et l’un des intérieurs les plus réguliers du continent.
Splitter, plus jeune, plus sobre, complète Scola par son activité défensive, sa mobilité et son intensité sans ballon. Leurs profils opposés permettent à Baskonia de varier les combinaisons et de ne jamais baisser de ton dans la peinture. À la fin de la saison d’Euroleague, ce duo cumule 25,3 points, 11,3 rebonds et 3 interceptions de moyenne par match en 47 minutes (au cumulé). Sur le plan collectif, Baskonia va glaner la Supercoupe d’Espagne, rejoindre la finale de la Ligue ACB et finir 3ème du Final Four de l’Euroleague, en somme une très bonne saison qui s’inscrit dans la continuité du projet du club basque.
La saison 2006-2007 marque un tournant dans la carrière de Tiago Splitter. Après avoir progressivement gagné en responsabilité l’année précédente, Velimir Perasovic a annoncé sa volonté de vouloir installer Splitter dans le 5 majeur. La conséquence directe de cette décision, c’est la bascule définitive de Luis Scola au poste 4. Sur le plan tactique, le duo fonctionne grâce à une bonne lecture des espaces : Scola prend souvent le poste haut, voire s’écarte légèrement pour ouvrir des lignes de passe ou jouer en lecture, pendant que Splitter reste actif dans le short roll, ou coupe le long de la ligne de fond pour offrir une solution près du cercle.
Ce schéma leur permet de pratiquer des séquences high-low très fluides, où l’un sert l’autre en fonction de la position du défenseur. Surtout, ils savent alterner les rôles selon les besoins du match : si Splitter est face à un défenseur lent, il monte poser des écrans et jouer en tête, pendant que Scola opère dos au panier. Défensivement, leur complémentarité est tout aussi précieuse. Splitter, plus jeune et plus mobile à ce moment-là, est souvent chargé de protéger le cercle, de switcher sur les pick-and-rolls et de couvrir les aides profondes. Sa taille, sa verticalité et sa discipline en font un excellent défenseur d’équipe.
De son côté, Scola apporte son expérience et son intelligence de placement, anticipant les rotations, coupant les lignes de passe, et apportant de la densité sur le poste bas. Leur lecture collective des situations défensives permet à Baskonia de rester très solide dans la raquette sans trop exposer les extérieurs. Baskonia finira d’ailleurs la saison avec le deuxième meilleur bilan défensif de la ligue, juste derrière les Russes du CSKA Moscou.
Sur le plan collectif, Baskonia avait d’ailleurs passé un grand cap sur la première partie de saison, en obtenant le meilleur bilan en Euroleague avant les phases éliminatoires (18 victoires pour 2 défaites). La série va d’ailleurs se poursuivre pendant les quarts de finale où le club espagnol va balayer de deux matchs secs l’Olympiakos. Mais malheureusement, la belle dynamique s’arrête net lors du Final Four à Athènes. En demi-finale, Baskonia affronte le Panathinaïkos, équipe hôte et grande favorite, portée par un Diamantidis impérial et une salle entièrement acquise à sa cause.
Les Basques s’inclinent lourdement (67–53), incapables de contenir l’intensité défensive des Grecs ni d’imposer leur rythme en attaque. Deux jours plus tard, lors du match pour la 3e place, les hommes de Velimir Perasović tombent de justesse face à Unicaja Málaga (76–74), malgré un bon match de Scola, pour finir à la quatrième place. En championnat ACB, ils tombent également en demi-finale, une nouvelle désillusion pour le club. Malgré ces revers, la saison 2006-2007 reste la plus aboutie sportivement de l’ère Scola-Splitter.
L’Argentin confirme son statut de leader offensif avec une moyenne de 15,3 points en EuroLeague, pendant que Splitter connaît une véritable explosion et finira la saison avec 11,3 points et 5,2 rebonds de moyenne. Enfin, cette saison marque aussi la fin d’un cycle : Luis Scola partira à l’été 2007 pour rejoindre la NBA et les Houston Rockets. Pour Tiago Splitter, c’est l’ouverture d’un nouveau chapitre où il devra assumer à son tour le rôle de leader dans la peinture. Le relais est passé.
Du mentorat à la rivalité : les affrontements en NBA et en sélections

Entre 2002 et 2014, Luis Scola et Tiago Splitter se sont affrontés à de multiples reprises sous les couleurs de l’Argentine et du Brésil. Si leur relation avait commencé sous le signe du mentorat à Vitoria, elle a rapidement pris une tout autre tournure une fois les maillots nationaux enfilés. Sur la scène internationale, leur duel devient une constante, notamment lors des grands tournois FIBA.
Dès que les compétitions internationales démarrent, la tension monte. Scola est une légende de la « Generación Dorada« , champion olympique en 2004. Splitter, lui, incarne la relève brésilienne aux côtés de Barbosa, Varejao ou Huertas. Et quand l’un brille, l’autre doit perdre. En compétitions officielles (Jeux Olympiques, Coupes du Monde, FIBA Américas), ils se sont retrouvés au moins douze fois, avec un avantage net à Scola : 8 victoires à 4 pour l’Argentine et Scola.
Cette domination argentine s’est souvent accompagnée de performances décisives de Scola, notamment lors des JO 2012 de Londres, où il a inscrit 17 points en quart de finale pour éliminer le Brésil, ou encore lors de la coupe du monde 2010, où l’Argentin avait inscrit pas moins de 37 points et capté 8 rebonds. Splitter, lui, connaîtra quelques succès, notamment lors de la FIBA Américas 2009, mais il a souvent souffert de l’impact offensif et de la constance de son ancien coéquipier.
L’opposition se poursuit en NBA, où leurs trajectoires se recroisent à nouveau. Scola rejoint les Houston Rockets en 2007, après de longues négociations pour s’extraire de son contrat espagnol. Ironie du sort, trois ans plus tard, Splitter débarque dans la ligue dans le camp texan rival, celui des San Antonio Spurs. Les confrontations entre les deux anciens coéquipiers deviennent régulières, les Rockets et les Spurs évoluant dans la même division (Southwest). Scola est alors un joueur confirmé, titulaire indiscutable et moteur offensif chez les Rockets.
Il sort d’une saison à plus de 16 points de moyenne et s’impose comme un intérieur technique, adroit, difficile à défendre dans le jeu dos au panier. Splitter, lui, intègre une rotation plus compétitive et disciplinée à San Antonio, où il doit gagner sa place dans l’ombre de Tim Duncan, mais monte progressivement en puissance. Les duels sont souvent intenses, même s’ils ne sont jamais le cœur de l’affiche, et on sent toute la tension du moment quand l’un a le ballon et qu’il se retrouve face à l’autre.
Ce chapitre nord-américain vient clore une relation complexe, passée de la transmission à la confrontation. La NBA n’a pas fait d’eux des stars de premier plan, mais elle a prolongé une histoire entamée dix ans plus tôt sur les parquets de Vitoria. D’un vestiaire partagé au Pays basque à des raquettes opposées au Texas, Scola et Splitter ont écrit l’un des duels les plus singuliers entre anciens partenaires devenus rivaux.