Lucas Duféal, espoir martiniquais porte la flamme olympique sur sa terre d'origine - Crédit : la1ere.franceinfo.fr Martinique

En Martinique, le basket cherche le rayonnement de son voisin guadeloupéen

Si la NBA concentre mon attention en matière de basketball, mes origines martiniquaises m’ont naturellement tourné vers un univers moins médiatisé mais tout aussi passionnant : celui du basket ultramarin. Aux Antilles, ce sport occupe une place importante dans le quotidien des jeunes, malgré des infrastructures limitées notamment en Martinique et un exil souvent nécessaire pour percer. J’ai voulu explorer cette réalité, entre passion locale, détection précoce et défis structurels.

Jeunesse, exil et rebonds : destins de basketteurs ultramarins

Vous qui parlez souvent de paradis, connaissez-vous vraiment la Caraïbe? » Dixit Dédé Saint-Prix, artiste Martiniquais.

Alors, vous qui parlez souvent des Antilles françaises, connaissez-vous vraiment le parcours des Ultramarins ? Pour répondre à cette question, j’ai eu la chance d’échanger avec Noël Nijean, ancien espoir du basket martiniquais, passé par un centre de formation en métropole et aujourd’hui encore très attaché à ses racines sportives. Son témoignage, à la fois personnel et lucide, éclaire de manière précieuse les réalités du basket auxquelles font face les ultramarins.

Noël Nijean en plein dunk. Crédit : Noël Nijean Martinique
Noël Nijean en plein dunk. Crédit : Noël Nijean

Noël Nijean est né le 30 janvier 1983 à Fort-de-France, en Martinique. Il est repéré à l’âge de onze ans par Jérémy Licyr. À cette époque, Saint-Ange Vébobe – décédé le 04 septembre 2022 -, alors conseiller technique régional de la Martinique, joue un rôle déterminant dans son développement. C’est grâce à lui que Noël intègre l’INSEP, institut national du sport, de l’expertise et de la performance – établissement public chargé de soutenir les sportifs de haut niveau ainsi que les professionnels du sport en France – à quinze ans. Cette opportunité se présente à l’occasion du tournoi interrégional avec la sélection du Guymargua (Guyane, Martinique, Guadeloupe), tournoi qu’il dispute pour la seconde fois.

Durant ses trois années à l’INSEP, Noël est sélectionné en équipe de France cadets, avec laquelle il termine 4e au championnat d’Europe. Il poursuit ensuite sa progression en équipe de France juniors et remporte le titre de champion d’Europe en 2000. Deux ans plus tard, il décroche la médaille de bronze avec l’équipe de France des moins de 20 ans lors du championnat d’Europe 2002.

Par la suite, Noël évolue dans plusieurs clubs professionnels français (Quimper, Bourg-en-Bresse, Bondy), et apporte son énergie et son talent au poste d’ailier fort. Sa carrière professionnelle est malheureusement interrompue prématurément à cause d’une vilaine blessure au genou.

Martinique, Guadeloupe : terres de passion et de potentiel

Jubilé de Florent Piétrus et Mickaël Gelabale - Crédit : la1ere.franceinfo.fr
Jubilé de Florent Piétrus et Mickaël Gelabale en Guadeloupe – Crédit : la1ere.franceinfo.fr

Dans les rues animées de Fort-de-France comme dans les gymnases de Pointe-à-Pitre, le basketball est bien plus qu’un sport. Malgré des moyens souvent limités, les Antilles françaises – Martinique et Guadeloupe en tête – sont un vivier inépuisable de talents. Ces territoires produisent des profils à la fois athlétiques, instinctifs et techniques tels que Ronny Turiaf, Mathias Lessort, Mickaël Gelabale, Florent et Mickaël Piétrus, Jim Bilba ou encore Lucas Duféal.

Il reste toutefois plus difficile pour les Ultramarins d’être repérés, notamment en raison des 7 000 kilomètres qui les séparent de l’Hexagone.

En Guadeloupe comme en Martinique, les dispositifs de détection existent, mais leur efficacité peut varier. Le CREPS (Centre de Ressources, d’Expertise et de Performance Sportives) implanté aux Abymes en Guadeloupe, occupe une place centrale dans ce dispositif parfaitement orchestré. Grâce à la coopération des académies, des clubs locaux et des fédérations, des jeunes peuvent être repérés dès l’âge de 12 ans; puis ils sont orientés vers des pôles espoirs ou des centres de formation dans l’Hexagone ou ailleurs.

La Guadeloupe joue un rôle clé dans le développement du basketball grâce à ses clubs et infrastructures, tel est le cas du Palais des sports du Gosier, centre de formation reconnu. Toutes ces infrastructures offrent un encadrement de qualité avec des entraînements techniques, tactiques et expérience de la compétition dès le plus jeune âge. La participation des Guadeloupéens aux tournois internationaux comme la Summer League aux États-Unis ou au tournoi de Porto Rico leur permet d’être exposés au haut niveau et d’attirer l’attention de recruteurs du monde entier.

En Martinique, la situation se révèle plus complexe qu’on ne pourrait imaginer. D’ailleurs Noël Nijean le souligne à juste titre : « Dans l’absolu si un enfant joue au basket le bouche à oreille devrait faire son chemin, mais parfois, c’est plus compliqué malheureusement (entourage, rivalités entre entraîneurs, entre autres) ». En raison de ce manque de coordination, certains jeunes passent entre les mailles du filet. Lors des années 90, les tournois inter îles comme le Tournoi Antilles Guyane constituaient une première vitrine. Certains clubs métropolitains, comme l’Élan Chalon, venaient observer les jeunes en tournée. C’était alors la seule véritable opportunité d’aller plus loin.

Cependant, il y a une différence notable entre la Guadeloupe et la Martinique en matière de formation. Pour en avoir parlé avec plusieurs Guadeloupéens, Nijean a toujours ressenti « une forme d’unité en Guadeloupe, une volonté collective d’avancer ensemble ». À l’inverse, en Martinique, les initiatives semblaient plus dispersées, parfois même concurrentes. Cela dit, Noël reconnaît que les choses ont peut-être évolué depuis son départ. Aujourd’hui, la Guadeloupe reste mieux structurée, avec des figures majeures comme Mickaël Gelabale ou encore Florent et Mickaël Piétrus, là où la Martinique tente de rattraper son retard.

L’exil précoce : un choc entre rêve et réalité

Noël Nijean est bien placé pour évoquer le choc que représente un départ vers la métropole à un âge si jeune. « Nous avons une culture, un mode de vie, une mentalité différente  », explique-t-il. L’acclimatation demeure difficile : le froid, la solitude, le changement d’alimentation, tout est inédit. Cependant, une chose reste constante : « ceux qui ont réussi avaient une volonté forte de représenter au mieux leur île ». À propos de l’adaptation dans l’Hexagone, Nijean confiait que tout commence par l’intention, «  il faut comprendre pourquoi on est là et ce qu’on veut ».

À l’INSEP, Noël a eu la chance d’être bien entouré : Lucien Legrand, Richard Billant, Jean-Marc Touzet…Tous ont contribué à sa progression, pas seulement en tant que joueur, mais en tant qu’homme. Il reconnaît cependant que tous les centres de formation ne proposent pas ce niveau d’écoute et d’encadrement. L’accompagnement psychologique ou éducatif reste trop souvent marginal.

Concernant les familles, elles ont aussi un rôle à jouer « Tout dépend de la relation qu’on entretient avec elles », explique-t-il. Dans son cas, ses parents ont été présents, « à l’écoute » et bienveillants. Mais il concède que si les résultats ne sont pas au rendez-vous, la distance peut vite devenir pesante. À 15 ans, on veut vivre « la vie de grand » a-t-il confié, mais sans soutien, l’aventure peut s’avérer périlleuse.

Pour un nouvel élan du basket ultramarin

Noël Nijean ne cache pas son désarroi face à certaines infrastructures martiniquaises. En effet, Noël était récemment en Martinique, le constat est amer : « Le palais des sports du Sporting Club Lamentinois, où se jouaient les finales jeunes, n’est pas en bon état. Ça fait de la peine ».

En métropole, les enfants jouent plus souvent sur du parquet. En Martinique, le basket se jouait le plus souvent sur du bitume, mais cela tend à évoluer : de plus en plus de terrains sont désormais aménagés dans les quartiers.

Cependant, certains clubs locaux ne semblent pas bénéficier d’un soutien suffisant pour accompagner et développer les talents. Bien que le basket attire de nombreux passionnés, il y a quelque peu un manque d’initiatives pour aider au perfectionnement des jeunes. Malheureusement, sans un appui financier adéquat, accéder au plus haut niveau reste donc restreint.

Certes, les recruteurs cherchent la taille, mais aussi des qualités humaines : l’état d’esprit, le mental, les aptitudes techniques, la compréhension du jeu et le fameux « QI basket ». Les ultramarins disposent de traits distinctifs qui attirent l’attention; mais ces caractéristiques semblent s’estomper vis-à-vis des jeunes de l’Hexagone, passé l’âge de quinze ans.

En Martinique, « Il y a des choses qui sont mises en place, des camps, et des investissements divers mais malheureusement, rien ou trop peu dans les instances dirigeantes et il y a un manque d’associations viables sur le long terme », confie Noël.

Cela influence-t-il la détection des talents ? Autrefois, la sélection pour le tournoi Antilles-Guyane représentait une étape essentielle dans l’identification des jeunes espoirs locaux, comme mentionné précédemment dans cet article. Aujourd’hui, les camps de basket, souvent animés en anglais et encadrés par des entraîneurs de niveau international, permettent de repérer les meilleurs talents martiniquais.

Cet échange sur le basket ultramarin met en lumière les réalités partagées par nos îles sœurs, avec leurs défis et leurs espoirs communs. À ce titre, je tiens à remercier chaleureusement Noël Nijean pour sa confiance, sa disponibilité, sa sincérité et son rôle précieux de mémoire vivante du basket antillais. Son témoignage rappelle combien il est urgent d’offrir aux jeunes ultramarins les moyens de croire en leur avenir, sans avoir à tout sacrifier pour y parvenir.

Ne manque pas un article !

Rejoins la communauté Le Roster en t'abonnant à notre newsletter !

Damian Lillard indique l'heure