Bienvenue dans Facteur X, une série qui retrace la saison et l’importance d’un joueur de l’équipe championne alors qu’il n’est pas la star de celle-ci. La conquête du premier titre NBA des Nuggets, portée par la domination de Nikola Jokić et son compère à la mène Jamal Murray, a écrit une page de légende. Mais dans cette épopée, un élément a brillé par sa polyvalence et son sacrifice : Bruce Brown. Vous l’aurez compris, ce deuxième épisode est consacré à cet homme à tout faire qui a fait vibrer tout le Colorado.

L’arrivée de Bruce Brown à Denver

Un an avant sa signature à Denver, il disait « ne pas vouloir aller ailleurs qu’aux Nets ». Pourtant, lorsque les Nuggets le signent à l’été 2022 pour un contrat de 6,5 millions de dollars sur un an, l’opération passe presque inaperçue. Après deux saisons à Brooklyn, où il a alterné des postes 2 à 4, Brown est perçu comme un ajout utilitaire, mais un simple role player. En ayant joué avec Kevin Durant, Kyrie Irving et James Harden, il est évidemment passé sous les radars des moins connaisseurs. Mais pour Michael Malone, c’est une pièce manquante : « On avait besoin de quelqu’un qui accepte de tout faire, sans ego. Bruce était parfait », confiera plus tard l’entraîneur.

Avec son profil hybride (1,93 m pour 92 kg), Brown incarne l’ère moderne des joueurs sans position. Denver mise sur sa polyvalence pour compléter Nikola Jokić et Jamal Murray, tout en apportant une intensité défensive dont l’équipe manquait.

S’imposer dans un collectif qui joue le titre

Entouré par des stars comme Jokić et Murray, ou des potentiels facteurs X comme Caldwell-Pope et Aaron Gordon, ainsi que Michael Porter Jr., Bruce Brown n’a pas sa place dans le cinq de départ des Nuggets. Utilisé comme sixième homme, il comblait les manquements de ses coéquipiers lorsqu’il le fallait. Il a toutefois débuté 31 matchs des 80 auxquels il a participé cette saison. Il aligne des performances solides mais discrètes : 7,9 points, 4,1 rebonds et 2,1 passes en 24,7 minutes par match. Ses statistiques brutes ne claquent pas, mais son impact se niche ailleurs.

Un playmaker à ne pas sous-estimer

Avec seulement deux passes décisives par match on pourrait se dire que Bruce Brown n’est pas un grand nom du playmaking en NBA. Pourtant, il affiche un AST% de 16,3%, ce qui le place dans le 83e centile des ailiers, un rang impressionnant pour un joueur dont l’usage offensif est tout juste au dessus de la médiane à son poste (18,2%, 58e centile). Son ratio Ast:Usg de 0,89 souligne sa capacité à créer pour les autres sans monopoliser le jeu. C’est un chiffre qui se rapproche et dépasse même celui de certains meneurs de jeu comme Shai Gilgeous-Alexander (0,72), Stephen Curry (0,88), ou Damian Lillard (0,93), prouvant qu’il optimise chaque touche de balle de son équipe.

Cleaning the glass Bruce Brown
Statistiques via cleaningtheglass.com

Cependant, on observe que son TOV% est de 13,1%, cela le classe dans le 27e centile à son poste. Ce chiffre révèle une réalité moins flatteuse : quand Brown prend en charge le ballon, les pertes s’accumulent. Comparé à des joueurs aux statistiques au playmaking similaire (Coby White, Dejounte Murray ou Immanuel Quickley entre autres), son ratio risque/bénéfice reste moins favorable.

Pour Denver, cette faiblesse n’était pas rédhibitoire, car Brown n’était jamais le premier, ni même le deuxième ball handler. Son rôle se limitait à des relais ponctuels, souvent déclenchés après un mouvement initial de Jokić ou Murray. En somme, il excelle dans l’art du passeur sobre, mais pas dans celui du meneur tout-terrain. Une nuance cruciale pour comprendre son impact réel… et ses limites.

Un défenseur multi casquette

Avec seulement 1,93 m, Brown a passé son temps à harceler les guards adverses, mais aussi à contrer des forwards bien plus grands. Résultat : les joueurs défendus par BB voient leur adresse chuter de près de 2%. Ses 1,1% de Blk% et 1,7% de Stl% révèlent un sens du timing saisissant. Tous les matchs, il se retrouvait à s’occuper des meilleurs joueurs adverses, rappelant qu’il était l’un des rares joueurs capable de switcher sans faillir entre des profils diamétralement opposés.

Statistiques via cleaningtheglass.com

Aussi, ses 4,1 rebonds par match cachent une qualité bien plus précieuse : 3,1% de rebonds offensifs attrapés, le plaçant dans le top 35% des ailiers. Un chiffre qui explique ses multiples putbacks, comme lors de la victoire en prolongation face à Oklahoma City le 10 décembre 2022. Ce même match restera ancré dans sa mémoire. Avec 17 points, 13 rebonds et 10 passes, Brown réalisa le premier (et seul) triple-double de sa carrière, symbole de sa polyvalence. « Bruce est partout, tout le temps. C’est un gagnant né », saluait Michael Malone après la rencontre.

Et le shot making ?

Bruce Brown n’aura pas été la tête d’affiche des Nuggets, mais son empreinte est indélébile. Véritable caméléon offensif, il a endossé le rôle du complément efficace.
En transition, Brown a transformé chaque contre-attaque en or. À 1,33 point par tir en transition, et 1,40 sur ses cuts, il a été un élément essentiel de la 5e meilleure attaque de la ligue. Son shoot à trois points a aussi été une arme importante pour Denver. Loin d’être un sniper d’élite, il frôlait les 36% de réussite avec plus de 3 tentatives par match.

Répartition des tirs de Bruce Brown. Crédit : Shotcreator (*LA = League Average)
Shot chart de Bruce Brown. Crédit : Shotcreator (*LA = League Average).

Pour ce qui est de son régime de tir, il a incarné la quintessence du role player moderne : sobre, intelligent, et plutôt efficace. Brown a banni les tirs « long mi-distance » (6% de ses tentatives), une zone très peu efficiente. Préférant recycler le ballon ou foncer au cercle (40% de ses tirs), il a affiché un honorable 57,1 TS%.

Les playoffs de Bruce Brown

Si la saison régulière avait révélé l’utilité de Bruce Brown, les playoffs en ont fait un chouchou à Denver. Joueur défensif dans l’ombre, finisseur opportuniste et même meneur de jeu improvisé, il a été le caméléon des Nuggets durant leur course au titre.

Si Bruce Brown et les Nuggets n’ont pas réussi à contenir Anthony Edwards au premier tour, ils l’ont toutefois remporté haut la main avec un gentleman sweep (4-1). Brown ne s’est pas fait remarquer par son adresse de loin non plus (21,4%). Mais la raison de ses 27 minutes de jeu de moyenne se cache autre part. S’il a poursuivi son rôle de défenseur polyvalent, il était aussi l’energizer de Denver. Il profite du repli défensif (parfois) bancal des Wolves.

Il a conclu sa série face à Minnesota avec 11,4 points, 4 rebonds, 2,4 passes décisives et 1,2 interception à 53,7% au tir. Des statistiques très proches de ce qu’il avait fourni en saison régulière. Et en utilisant encore plus le jeu en transition, il affiche une meilleure adresse à deux points.

Face aux Suns au deuxième tour, il a fini à 12,8 points, 3,7 rebonds, 1,8 passe décisive et 1,3 interception par match. Il a amélioré son adresse à trois points (30,8%), mais il était toujours loin de ses chiffres de saison régulière. Cependant, grâce à son adresse de saison régulière, il écartait la défense de Phoenix et a profité des trous pour être encore plus efficace avec ses cuts.

Il a su défendre Devin Booker, Deandre Ayton, et même Kevin Durant. Si le premier a fasciné les fans de l’Arizona, les deux autres ont eu des difficultés face à BB. Pensant avoir le mismatch, Ayton s’est retrouvé face à un mur au poste sur Brown. Et pour Durant, son année et demie passée aux côtés de Brown à Brooklyn n’a pas été à son avantage.

Alors à 2-2 dans la série, Bruce Brown a planté 25 points à 7/11 au tir pour remporter le Game 5. Il incarne ce joueur juste, qui hausse son niveau quand il le faut, et qui surprend les défenses adverses.

Les Nuggets ont écrasé les Lakers pendant les finales de l’Ouest si l’on regarde le score final (4-0). Mais ce sweep ne reflète pas vraiment la série, puisque trois match se sont clôturés avec un écart de deux possessions maximum. Assigné à neutraliser D’Angelo Russell, Brown a transformé le meneur en fantôme. En quatre matches, Russell a été limité à 6,3 points par match à 32% aux tirs.

Agressif au rebond, et dans son rôle d’accélérateur du jeu, Brown s’est souvent retrouvé à monter la balle, mais pas dans l’idée d’organiser une attaque sur demi-terrain. Conscient de ses forces, il a enchaîné les sprints pour jouer la transition. En plus, il retrouve de l’adresse du parking, faute à une défense plus décomplexée des Angelinos.

Outre faire parfaitement ce qu’il faisait déjà parfaitement, il s’est démarqué dans le clutch. Alors qu’il était le sixième homme, Michael Malone l’utilisait dans les fins de match, preuve de son importance dans l’équipe. Dans le Game 2, c’est lui qui clôt le match avec une interception décisive sur nul autre que LeBron James.

Ses cuts à répétition font qu’il se retrouve sous le panier, et au lieu de ressortir à trois point, il reste dans le dunker spot, pour être présent au rebond offensif. Avec la combinaison de hustle, d’athlétisme et d’intelligence de jeu, il se retrouve avec des paniers faciles.

Il affiche 12,3 points, 4 rebonds et 2,5 passes décisives alors qu’il est totalement passé à côté de son Match 4. En difficulté avec les fautes, il n’aura joué que 20 minutes dans ce match. Nikola Jokic et Jamal Murray se sont sublimé pour palier aux errances des role players.

À l’aube des Finales NBA, les Nuggets étaient vus comme les favoris face au Heat. Mais il fallait se méfier de l’équipe rugueuse que formaient Jimmy Butler et compagnie. Après les deux premiers matchs dans le Colorado, les deux équipes sont sur un score de parité. Miami récupère l’avantage du terrain et Bruce Brown manque son entrée dans ses premières finales. Avec 6 ballons perdus dans les deux premières rencontres, Michael Malone a du s’adapter et lui donner moins de responsabilité en tant que ball handler.

Il n’a pas été meilleur offensivement dans le Game 3, mais son rôle défensif s’est enfin vu sur la feuille de stats. Avec pas moins de 3 contres dans ce match, dont deux sur Bam Adebayo. Il a été un vrai poison pour défendre son panier malgré sa taille.

Ses difficultés offensives ont disparu lors du Match 4. Pour mettre Denver en route vers le titre, il inscrit 21 points à 8/11 aux tirs, dont 11 dans le dernier quart-temps. Lay-up en transition, drive en puissance, trois points contestés, provocation de faute à mi-distance, il a tout fait en Floride pour prendre deux match d’avance. Il a donné un avantage considérable aux Nuggets qui seront les hôtes du Game 5.

Preuve que son Game 4 était un coup de chaud, il est moins efficace sur le dernier match de la série. 4/14 au tir seulement, mais un impact défensif toujours aussi important. Et une présence au rebond qui a énormément gêné le Heat. Ses 4 rebonds offensifs ont été cruciaux dans la victoire 94-89 de Denver, synonyme de titre.

Bruce Brown et les Nuggets remportent leur premier titre. Le natif de Boston est considéré comme un des meilleurs role player de la Ligue. Les 29 autres équipes enviaient tous les soldats des Nuggets (Caldwell-Pope, Gordon et Brown), mais seul Bruce Brown était un agent libre à la fin de cette saison.

L’intersaison après le titre

Bruce Brown a tourné la page en juillet 2023 en signant un contrat de 45 millions de dollars sur deux ans avec les Pacers. Une récompense financière un peu élevée, mais méritée, pour celui qui, un an plus tôt, avait choisi les Nuggets pour 6,5 millions.
Si Denver aurait souhaité le conserver, les contraintes salariales liées au supermax de Nikola Jokić ont rendu son retour impossible. Les Pacers, en quête de leadership et de polyvalence, ont sauté sur l’occasion.

Son départ laisse un vide à Denver, mais aussi un héritage indestructible : premier triple-double de sa carrière, joueur clé défensif en playoffs, et ce 4e quart-temps héroïque en finale NBA. Preuve qu’un joueur peut transcender son statut de role player pour devenir incontournable.