Cette série s’ambitionne en excavatrice des décombres des décennies 80 et 90 : l’antichambre de la NBA à la lumière des soutiers et besogneux des temps anciens. Aujourd’hui, septième coup de pelle avec Bill Robinzine.
Des joueurs de l’ombre, obscurs et oubliés de tous, on en trouve plein les hospices. Des vies bien remplies, des années passées en NBA, avec succès parfois, mais dont le souvenir du simple nom n’est plus que sur les lèvres de quelques radoteurs bien souvent dégarnis. Qui se souvient de Don Buse, Mark Olberding ou Dave Robisch? Ils ont pourtant à eux trois disputé près de 3 000 rencontres dans l’élite. Des carrières pleines, de plus de dix saisons, avec assurément leur lot d’émotions, glorieuses comme frustrantes. Et pourtant, rien n’arrête l’érosion du temps qui passe, et encore moins la défaillance des souvenirs des plus passionnés d’entre nous.
Et puis il y a les oubliés parmi les oubliés. Ceux dont la carrière, comme l’existence, s’est stoppée brutalement. Bill Robinzine est de ceux-là. En septembre 1982, après sept ans en NBA, essentiellement sous le maillot des Kings, il est retrouvé mort dans sa voiture sur le parking d’un garage de Kansas City. La police conclut à un suicide, Bill Robinzine avait 29 ans. On ne lui connaissait aucun penchant pour la boisson ou la drogue, ni pour les jeux d’argent.
Si cette série de portrait se cantonne aux seules décennies 1980 et 1990, il s’agit de noter ici une petite entorse, compréhensible, puisque Bill Robinzine débuta sa carrière NBA en 1975, et aurait dû être un homme de la décennie 80. C’est en 1982 que surviendra l’irréparable.
Trompettiste chevronné, basketteur inexpérimenté
Une comète, aussi bien par l’aspect éphémère de sa vie, que par sa pratique même du basket-ball. Malgré une taille appropriée (le double-mètre), il ne touche la gonfle qu’à 17 ans seulement, lui le mastoc gaucher au cou de taureau. Trompettiste passionné, c’est sous l’insistance de ses amis qu’il lâche peu à peu la musique pour la balle orange, aidé par un père ancien joueur universitaire vedette à DePaul, l’une des principales fac de l’Illinois.
Un détail physique va également l’éloigner peu à peu de son instrument de musique favori. À 16 ans, on lui répare une dent cassée, datant de son enfance. Durant ses années d’apprentissage de la trompette, Bill soufflait sur le côté de cette demie-dent, et perd ses repères après l’opération chez le dentiste.
Dans mon quartier, un grand gaillard se baladant avec une trompette, c’était un lynchage assuré. Cela m’a endurci. Je ne voulais pas me mettre au basket, car les gars de mon quartier avaient tous commencé jeunes et étaient bien meilleurs que moi. »
Incroyable de se dire que seulement quatre ans plus tard, il est drafté au premier tour par les Kansas City Kings, avec un beau contrat à la clef, un peu plus d’un demi-million de dollars sur quatre ans.
Ascension fulgurante à DePaul, suivie d’une draft NBA au premier tour
Le natif de Chicago progresse de jour en jour, au point d’intégrer la fac locale de De Paul pendant trois ans (dont une en compagnie de Dave Corzine, futur pivot des Bulls). Entraîné par la figure locale, l’indéboulonnable Ray Meyer, coach des Blue Demons de 1942 à 1984 (et qui a eu sous ses ordres Bill Sr., le paternel), Bill Robinzine s’affirme petit à petit. Pas de participations au tournoi NCAA malgré des bilans positifs, mais des statistiques individuelles impressionnantes pour cet ailier fort sous dimensionné, bâti comme une commode François Ier : plus de 19 points et 11 rebonds de moyenne lors de son année senior.
Suffisant pour valider son ticket d’entrée à la draft NBA de 1975, devenant le premier choix des Kansas City Kings avec la dixième position. Une cuvée considérée décevante (Dave Myers, Marvin Webster, Lionel Hollins, Rich Kelley…), qui est celle de David Thompson, Alvin Adams (Rookie de l’année 76), World B. Free, Dan Roundfield, Gus Williams ou encore de Jellybean Bryant, le père de Kobe.
Dans une équipe des Kings médiocre, emmenée par Tiny Archibald et Scott Wedman, tous deux All-Star lors de cette saison 1975-76, Robinzine trouve d’emblée sa place, alternant les minutes au poste d’ailier fort avec Larry McNeill. Bill est un chien fou sur le terrain, se démarquant au rebond mais aussi par ses fautes à répétitions, et se voit rapidement collé l’étiquette de joueur agressif, dans une Ligue qui est pourtant loin d’être l’île aux enfants.
Il est cette année là le joueur commettant le plus de fautes pour 100 possessions avec près de 10, et passe rarement plus de 25 minutes sur le parquet pour des raisons évidentes. Un joueur frustre (ce qu’il reconnaissait lui-même), mais qui tire le meilleur parti de son physique : un role player par essence.
Dès son année sophomore, il gagne sa place de titulaire chez des Kings en progression, avec l’arrivée de Brian Taylor et Ron Boone, et l’équipe s’approche d’un bilan à l’équilibre. Les trois saisons suivantes seront du même acabit, avec en point d’orgue deux qualifications en playoffs (pour deux éliminations au premier tour).
Que ce soit sous Phil Johnson, Larry Staverman ou Cotton Fitzsimmons (les entraîneurs successifs des Kings ces années là), Robinzine est indéboulonnable dans la raquette, brillant par sa défense et sa propension à faire gagner des possessions sur les rebonds offensifs, malgré sa relative petite taille pour le poste (201 cm). S’il doit être souvent rappelé sur le banc à cause de ses fautes, il jouera 245 des 246 rencontres de ces trois dernières années à Kansas City.
Blessure, transferts, déclassement
En fin de saison 1979-80, Robinzine se blesse à la jambe en se jetant à l’horizontale sur un rebond offensif. S’il termine l’année et participe même aux trois rencontres de playoffs des Kings, la blessure s’avère plus grave que prévu. On lui annonce que s’il est conservé, ça sera pour être le remplaçant du prometteur Reggie King, drafté l’année précédente.
Avant le début de la saison 1980-81, il est transféré à Cleveland où il ne disputera que 8 matchs avant d’être envoyé un mois plus tard dans un second échange, cette fois-ci à Dallas, la toute nouvelle franchise de la Ligue, entraînée par le fantasque Dick Motta. L’équipe ne gagne que 15 matchs pour sa première année d’existence, mais Bill joue 70 rencontres pour 14 points et 7 rebonds en moyenne, sur un poste qu’il partage avec Tom LaGarde, en provenance de Seattle. Il est malgré tout de nouveau échangé l’été suivant à Utah contre Wayne Cooper.
À Utah, Robinzine, toujours diminué par sa blessure à la jambe, n’est plus qu’un joueur de rotation, glanant une dizaine de minutes de moyenne par match sur les 56 disputés lors de l’exercice 1981-82. Frank Layden, mythique entraîneur et président du Jazz, ne renouvelle pas son contrat, et Bill se retrouve agent libre à l’été 82. S’il passe ses vacances à se préparer physiquement, il confie à son agent et ami Robert Mann qu’il ne se voit pas devoir refaire ses preuves lors d’un camp d’entraînement, ce qui était pourtant inévitable puisqu’aucune offre NBA ne s’est présentée à lui.
L’angoisse de l’après-carrière et suicide par intoxication au monoxyde de carbone
Le 16 septembre 1982, le patriarche Robinzine, Bill Sr., fait la macabre découverte. C’est dans un garage de Kansas City qu’il trouve son fils affaissé derrière le volant de son Oldsmobile Toronado. Le verdict est sans appel : suicide par intoxication au monoxyde de carbone, une méthode courante durant les décennies 70 et 80.
Pour son entourage, le désarroi est total, aucun signe avant-coureur n’a été détecté en amont du drame. Son ami le plus proche à Kansas City, Tom Jones :
Il ne montrait rien, il voulait paraître fort. Bill, sans basketball, ne pouvait pas continuer à vivre comme il le voulait. Il commençait à s’inquiéter de ne pas retrouver d’équipe. Ce qui avait commencé comme une petite partie de sa vie était devenu une part immense, et c’est là que les problèmes financiers sont apparus. »
Seule son épouse, Claudia, connaissait l’angoisse de son mari face à cet avenir en pointillé. C’est elle qui appela la police pour signaler sa disparition, lorsqu’elle rentra chez elle pour trouver une note alarmante de son époux sur la table à manger. Deux pages manuscrites, montrant un état dépressif, mais sans annonce de suicide. Resté proche de Ray Meyer, son entraîneur à l’université, Bill ne montrait publiquement aucun signe de détresse :
Il était tout sourire. Il ne nous parlait jamais de ses problèmes. Mais quand j’ai appelé sa femme après son décès, elle m’a dit qu’il n’arrivait pas à se réconcilier avec le fait de ne plus être en NBA. »
Si Bill avait des difficultés financières, elles n’étaient que passagères et loin d’être insurmontable aux dires de son avocat et agent Robert Mann. Bill avait une belle maison à Kansas City, d’une valeur de 140 000 dollars et un prêt en cours sur une maison plus modeste au nord de Dallas, achetée au prix d’or et qui était de toute évidence une arnaque immobilière.
Bien que prévenu par la direction des Mavericks que l’équipe était en construction et qu’aucun contrat n’était garanti, Bill tomba dans le piège de l’investissement local, tendu par des agents immobiliers peu scrupuleux, voyant les dollars de ces nouveaux athlètes professionnels dans leur ville. Mais Mann l’assure, personne n’allait saisir son hypothèque, la faillite n’était pas à l’ordre du jour.
En 1981, son salaire annuel était d’environ 200 000 dollars. Si son avenir en NBA était incertain, son CV de sept saisons pleines, à près de 11 points et 6,5 rebonds, lui garantissait, même diminué physiquement, de retrouver un club professionnel, hors NBA. L’Europe lorgnait sur son profil. Durant l’été 82, il était en contact avec des clubs italiens, qu’il avait éconduit, ne se voyant pas quitter le pays, d’autant que les offres salariales étaient bien inférieures à ses salaires passés.
Mais la réalité est que si des options NBA existaient encore pour lui, c’était pour un rôle bien moindre et par conséquent un contrat bien moins juteux qu’auparavant. Charles Grantham, vice-président de l’Association des joueurs NBA à l’époque, au sujet de la disparition de l’un de ses administrés :
La plupart des joueurs pensent qu’ils peuvent tenir encore un peu. Une saison de plus. Convaincre une autre équipe. Puis la réalité s’installe. »
Dans les semaines suivant son départ du Jazz, Bill Robinzine n’envisageait pas d’arrêter le basket malgré cette blessure handicapante à la jambe, au grand dam de son père, lucide sur la situation. Il préférait détourner la conversation pour parler de musique, ou bien esquissant sur le bout des lèvres un projet de reconversion dans l’immobilier.
À un journaliste de la St Joseph Gazette, lui demandant en 1979 ce qu’il envisageait comme après carrière, Bill répondit naïvement, « J’espère gagner assez d’argent pendant ma carrière pour ne plus rien avoir à faire pour le restant de mes jours. » Une prophétie exacte mais cruelle. Lors de l’annonce de son décès, seuls le NY Times honorera sa mémoire avec un article fouillé, publié peu après sa mort, ainsi qu’un bel encart dans le Austin American-Statesman. La plupart des citations de notre article du jour y sont issues, ainsi que du journal The Afro American du 25 septembre 1982, lui consacrant un petit article lors de son décès.
Oublié parmi les oubliés, Bill Robinzine n’a pas supporté l’incertitude d’une carrière dont l’avenir se dessinait en pointillés. Après sept années très correctes en NBA, il a choisi sa sortie, par un geste fatal, alors qu’il n’avait pas trente ans.