Cooper Flagg, la nouvelle recrue de l’université de Duke, est sans aucun doute une future star de la NBA. Cet ailier de grande taille capable de bouger comme un arrière a encore des progrès à faire en attaque, mais son potentiel défensif est tellement impressionnant qu’on lui excuse déjà ses quelques lacunes offensives. Cooper Flagg c’est aussi un tempérament de feu, un véritable mort de faim, le genre de joueur qu’adorent les fans. Cependant, il est aussi porteur d’un espoir qui obsède la NBA depuis fort longtemps.
Le « Great White Hope », à traduire par « le grand espoir blanc », est un terme qui revient de manière cyclique dans l’esprit des observateurs et fans de NBA. Il n’est pas compliqué de comprendre de quoi il en retourne, puisqu’on imagine bien qu’il s’agit d’affirmer le désir de revoir un joueur blanc dominer la ligue. Alors bien sûr, des blancs surclassent le championnat nord-américain depuis quelques saisons avec Nikola Jokic ou encore Luka Doncic, mais un problème demeure pour les spectateurs étasuniens.
En effet, voir des Européens s’imposer ne parvient pas à satisfaire ceux qui nourrissent le mythe du héros à la sauce Oncle Sam. C’est pour cette raison que l’arrivée prochaine de Cooper Flagg dans la grande ligue est un événement. L’ailier de Duke a tout pour être un talent générationnel de premier plan, et pour couronner le tout, il est blanc.
Il n’en faut pas plus pour que se ravive la flamme du Grand Espoir Blanc. Une partie de la sphère NBA commence déjà à se poser la question de savoir si Cooper Flagg est bien l’élu. Cependant, pour que cette interrogation existe de nos jours, il en a fallu d’abord une autre.
En février 1966, le journaliste John Devaney publie un article dans le magazine américain SPORT avec le titre « la peur secrète du basketball professionnel ». Dans ce papier, Devaney regroupe les avis de divers acteurs de la ligue afin de savoir s’il n’y a pas trop de noirs en NBA.
La NBA sur la défensive ?
La première chose qui saute aux yeux lorsqu’on lit l’article de John Devaney, est la quantité incroyable de fois où le N-word est utilisé. Cependant, cela suffit-il à la qualifier de raciste ? C’est le terme populaire pour désigner un homme noir aux USA à cette époque. C’est un mot que même les joueurs blancs utilisent, comme Bob Cousy par exemple. Peut-on pour autant le qualifier lui aussi de raciste ?
L’utilisation excessive de ce mot montre simplement que la société a encore beaucoup d’effort à faire et qu’il existe encore des réflexes de la ségrégation raciale censée avoir pris fin en 1964. Dans ce papier, John Devaney partage la réaction d’un ancien joueur NBA dont il se garde de donner le nom, un avis recueilli à la fin du All Star Game de 1965, un match des étoiles marqué par la présence de quatorze joueurs de couleur.
« Je suis dégoûté. Ils sont trop nombreux. Je ne pourrais jamais être intéressé de les voir jouer. »
Ensuite, c’est au tour d’un coach NBA lui aussi non cité, qui avoue que tous les propriétaires sont inquiets. En novembre 1965, dix joueurs de couleur sont en même temps sur le terrain lors d’une rencontre entre les Saint-Louis Hawks et les Philadelphia Warriors. Pour cet entraîneur, il est clair qu’avoir une majorité de joueurs noirs dans son équipe est une mauvaise chose pour le basketball.
La NBA n’apparaît pas disposée à accepter la domination des athlètes afro-américains et craint que l’affluence dans les salles en fasse les frais. Cette analyse semble être partagée par Wilt Chamberlain qui, lors d’une interview, confirme que pour lui, la NBA est surpeuplée de joueurs noirs. Il précise son propos en affirmant que cela participe à la difficulté des franchises à voir leurs audiences grandir. Chamberlain pense que le spectateur blanc ne se reconnaît pas dans ses stars lorsqu’il vient voir un match et qu’il veut pouvoir s’identifier à quelqu’un qui lui ressemble.
Cependant, rien ne peut empêcher l’évolution qui est en marche, les meilleurs talents sont afro-américains et le changement de visage de la NBA est inévitable. Dans les faits, la crainte de voir le public se désintéresser est confirmée par des années 70 qui peinent à voir la popularité du championnat professionnel croître.
La NBA reste à la traîne derrière des sports comme le baseball, le football et même les courses hippiques. Cela participe à renforcer l’idée que l’hégémonie des joueurs noirs sur la NBA est une mauvaise chose pour le business. Les problèmes de drogues de nombreux joueurs afro-américains participent également à nourrir ce sentiment de défiance envers une diversité plus forte.
Pour certains, une expansion de la NBA est la solution potentielle avec l’idée que plus d’équipes peuvent diluer le talent à travers la ligue et permettre de voir des joueurs blancs s’imposer malgré la déferlante afro-américaine. Toutefois, les multiples ajouts de franchises et la fusion avec l’ABA ne changent pas la donne.
Le basketball professionnel en est à un point où il donne l’impression de regretter le temps des salles enfumées où l’on joue au basketball entre blancs et où la présence de joueurs noirs est tout au plus exotique. John Devaney le dit dans son article : si ce que dit Wilt Chamberlain est vrai, cela suggère quelque chose sur les fans de sport des États-Unis.
Un racisme ancré dans les gênes de la ligue.
John Devaney vient simplement de mettre le doigt sur quelque chose de nouveau pour cette Amérique qui fut encore il y a peu de temps scindée en deux, les hommes blancs d’un côté, les hommes noirs de l’autre. Une fois cette barrière volée en éclat, il n’est pas aisé pour tout le monde de se défaire de ses vieilles et mauvaises habitudes.
Le racisme organisé et frontal de la ségrégation disparaît, mais une discrimination plus insidieuse prend sa place et cela dans toutes les strates de la société. D’ailleurs, il est toujours présent près de soixante ans plus tard, et les statistiques sur le sujet sont légion. Les études et les chiffres le démontrent, une personne racisée ne bénéficie pas des mêmes chances que ses homologues de type caucasien.
Elles doivent faire face à la discrimination à l’embauche, les différences de salaires, la qualité des prises en charge dans le milieu hospitalier, ainsi que les contrôles au faciès, entre autres. Les exemples sont nombreux et montrent bien qu’il existe toujours un racisme profondément ancré dans nos quotidiens. La NBA comme beaucoup d’autres institutions est-elle aussi gangrenée par ce mal, qui semble même fixé depuis toujours sur son ADN.
Il peut paraître normal de se dire que la question raciale soit une préoccupation de premier plan pour les dirigeants de clubs seulement deux ans après la fin de la ségrégation. Cependant, les raisons de ces inquiétudes sont discutables et toujours discriminantes pour les athlètes de couleur. Car lorsqu’on jette un regard dans le rétroviseur, on remarque que les propriétaires de franchises se retrouvent souvent dans la controverse.
On peut prendre l’exemple de la franchise du New Orleans Jazz et de son premier propriétaire Sam Battistone Jr. Lorsque l’équipe d’expansion voit le jour en 1974, elle est la première à s’implanter dans le sud des États-Unis. Battistone possède une chaîne de restaurants nommée Sambo, la contraction de son nom et de celui de son associé Newell Bohnett. Cependant, ce nom est également une référence au livre pour enfant “The story of little black Sambo”, considéré depuis comme un ouvrage outrageusement raciste et offensant.
Le propriétaire du Jazz ne s’en émeut pas et décide même de capitaliser sur cette image douteuse pour placarder dans ses restaurants des images dégradantes susceptibles de faire rougir de honte les marques Bamboula, Pepito, Banania et la voix off de la publicité Uncle Ben’s. Plus tard, la franchise du Jazz se délocalise dans l’Utah et continue de cultiver une certaine tradition au racisme.
Carl Scheer, propriétaire des Denver Nuggets à la fin des années 70 s’inquiète pour Dan Issel qui est l’unique joueur blanc présent au camp d’entraînement. Il décide alors de signer Kim Hughes et Phil Hicks, deux joueurs blancs, pour que Issel puisse évoluer avec des joueurs qu’il estime plus compatibles avec sa star.
En 1982, on trouve dans le Detroit Free Press une déclaration du dirigeant des Cleveland Cavaliers Ted Stepien. L’homme assume une certaine vision du business et confesse son besoin de voir des joueurs blancs dans son équipe.
« Les blancs ont le droit d’avoir leur héros blanc, moi même je ne peux pas m’identifier à un héros noir. Je vais être honnête, je les respecte, mais je veux plus de joueurs blancs. C’est quelque chose que j’ai en moi et je trouve qu’il y a trop de joueurs noirs dans l’effectif de Cleveland avec 10 ou 11 joueurs. Il faut un mélange de noirs et de blancs et cela fait une meilleure équipe. »
Dans les années 90, la NBA est composée à 85 % de joueurs noirs et nombre d’entre eux se plaignent de leurs revenus versés par des dirigeants qui sont eux exclusivement blancs. Alonzo Mourning du Miami Heat dit à la presse que les propriétaires pensent que les noirs devraient être heureux avec ce qu’on leur donne.
Enfin, tout le monde se souvient de Donald Sterling, ancien propriétaire des Los Angeles Clippers banni à vie de NBA pour des propos racistes tenus dans une conversation privée. Les paroles de ce dernier choquent profondément toute la sphère basket et une bonne partie de l’Amérique dirigée à l’époque par Barack Obama.
La NBA se doit de réagir et Donald Sterling devient persona non grata, malgré son ancienneté dans la ligue et ses milliards, il n’est plus le bienvenu.
« Je ne pense pas que nous n’ayons pas pris la bonne décision à l’époque, et je dirai qu’en bannissant M. Sterling de la NBA, cela a certainement engendré beaucoup de conversations sur la race. L’acte que nous avons posé a conduit à un débat sociétal beaucoup plus large sur la façon dont de tels commentaires devraient être traités, des commentaires en dehors du lieu de travail. » Adam Silver
Adam Silver, grand manitou de la ligue, pense que la NBA ressort grandie de l’éviction de Sterling et que ce bannissement est le signe d’un championnat en pleine prise de conscience. Pourtant, Robert Sarver, propriétaire des Phoenix Suns, emboîte le pas de Sterling quelques saisons plus tard et prouve que le racisme est toujours bien présent dans les structures de la ligue.
Tous ces exemples sont cités ici pour bien montrer que le racisme n’est pas seulement une histoire qui concerne les joueurs et certains fans. De Earl Lloyd à Russell Westbrook, la liste des joueurs ayant fait face à des insultes issues du public est longue. Cependant, il ne faut pas omettre que c’est la NBA tout entière jusque dans ses plus hautes instances qui est coupable de discrimination.
Peu importe la décennie dans laquelle on se projette, la presse rend compte des problèmes raciaux et de l’impression de rejet du public devant une ligue trop colorée pour lui. Dès la fin des années 60, il commence à ressentir le besoin de se trouver une star en qui se reconnaître, un héros capable de traduire sur le terrain une domination qui le réconforte face à l’hégémonie des champions afro-américains. C’est ainsi que les médias commencent leur quête du « Great White Hope », et le premier prétendant pointe le bout de son nez au milieu des années 70.
Le premier Great White Hope
En 1974, Bill Walton débarque dans la jeune franchise des Portland TrailBlazers avec le statut de futur crack. Après un passage dominateur en NCAA sous la houlette de John Wooden à UCLA, ce grand roux doit en toute logique s’imposer comme le visage de la ligue pour les 15 ans à venir.
Cependant, s’il a tout sur le papier pour être le candidat parfait pour remplir ce rôle, il est en réalité aux antipodes de l’attente placée en lui. Certes, il est dès ses débuts l’attraction la plus regardée par les fans et les journalistes, la moindre des actualités le concernant fait la une des quotidiens. Mais le sauveur de l’Amérique blanche devient rapidement la cible de bien des critiques.
Le premier problème avec Bill Walton est sa légendaire fragilité, le grand rouge est un colosse aux pieds d’argile et personne ne souhaite s’identifier à quelqu’un qui passe son temps à l’infirmerie. Dans les journaux, on raconte que ses blessures sont fausses, et on pointe également du doigt ce qui passe à l’époque comme son autre grand défaut.
Pour la presse, Bill Walton devient le géant chevelu aux idées douteuses. Le pivot de Portland est un athlète unique, comme Kareem Abdul-Jabbar ou Bill Russell avant lui. Bill Walton a ses convictions, sur la guerre, la politique, la société, et ses points de vue ne sont pas en accord avec ceux du grand public fan de sport.
Le spectateur américain blanc ne se reconnaît pas dans cet homme qui ne pense pas comme lui, qui ne vit pas comme lui et qui est à ses yeux le rouquin hippie bizarre et végétarien de la NBA. Enfin, les blessures en cascade vont sceller le destin de ce Great White Hope qui n’a jamais voulu de ce rôle.
The Great White
Désormais, la presse qui cherche à se remettre de l’échec de Bill Walton lorgne du côté de la faculté de l’Indiana. Là-bas, un jeune ailier du nom de Larry Bird fait des merveilles et il semble bien qu’il soit capable de rivaliser avec les plus grandes stars afro-américaines du pays, à commencer par Magic Johnson.
L’impact de Larry Bird sur les Boston Celtics lors de son arrivée en NBA est immédiat, tant sur le terrain que pour les finances de sa franchise. En effet, le public blanc se montre peu gêné par l’augmentation de neuf dollars du prix du billet et accourt en masse pour regarder les miracles de ce génie de la balle orange. Le succès est vite au rendez-vous et l’affluence explose, Bird est formidable, ressemble à l’américain moyen, il mange des burgers et ne parle pas de politique.
La rivalité avec les Lakers de Los Angeles et sa Némésis Magic Johnson devient le coup de boost médiatique dont la NBA rêvait depuis de longues années. D’un côté, le héros blanc issu de l’Amérique profonde, de l’autre, le jeune afro-américain flamboyant de Los Angeles. Tout les oppose, la presse et les fans se régalent, il n’y a plus d’espérance à avoir, le Great White c’est lui, Larry Bird.
Mais le temps fait son œuvre et arrive inexorablement le jour où Larry Legend doit prendre sa retraite, meurtrie par un dos fatigué par plus de dix ans de combat sur les parquets de NBA. Dorénavant, on recherche le prochain Larry Bird avec toujours en filigrane l’espoir de se trouver un nouveau héros blanc.
“Je ne suis pas naïf. Je sais que certains fans m’aimaient encore plus à cause de la couleur de ma peau. Ils peuvent penser ce qu’ils veulent. Ma principale préoccupation était de m’assurer que ce n’était jamais un problème avec mes coéquipiers, et, pour autant que je sache, cela ne l’a jamais été.”
Victime des clichés
John Devaney, pose en son temps la question de savoir pourquoi les athlètes afro-américains sont meilleurs que leurs homologues blancs. Un ancien joueur encore anonymement cité déclare que le basketball est un sport de rythme, et que les noirs ont plus de rythme. Oscar Robertson, rétorque à cette sortie douteuse.
“Pour un noir avec du rythme on oublie les dix autres qui ont du mal à courir. Mais vous ne regardez que celui qui est habile. Nous sommes là où nous sommes grâce au travail, au travail, au travail.”
En 2010, Don Lewis annonce la création de la ligue AABA, une ligue qu’il souhaite entièrement blanche. Afin de lutter, dit-il, contre le jeu streetball des athlètes noirs et de revenir aux fondamentaux du basketball. Il déclare avoir douze villes intéressées par le projet, mais fort heureusement celui-ci ne verra jamais le jour. Dans son esprit tordu, le joueur noir est talentueux, mais incapable d’exécuter une stratégie. En disant cela, il laisse entendre que le joueur blanc est garant du beau jeu, du vrai basketball.
Ceci est une déclaration clairement raciste, mais on retrouve constamment des exemples de clichés raciaux dans la manière d’évoquer les qualités des athlètes de la NBA. Parfois, le langage utilisé par les médias ne fait pas de doute sur une vision clairement arriérée des athlètes noirs, comme le fait remarquer le journaliste Jason Johnson.
« Tapez « Grand espoir blanc et NBA » sur Google et vous verrez un cimetière de mayonnaise de stars blanches surestimées que la NBA et les journalistes sportifs bien établis ont essayé de soulever. La rhétorique racialisée décrivant ces joueurs est un signe révélateur. Les joueurs noirs sont des « spécimens physiques » avec un « QI de basket-ball élevé » (par opposition à être simplement intelligents) et les joueurs blancs sont décrits comme des « rats de gym », des « travailleurs acharnés », des « cérébraux » ou le classique « faussement athlétique. »
Certains pensent que de nos jours les athlètes blancs américains se consacrent trop à rivaliser physiquement avec les athlètes noirs. Plutôt que de développer leur jeu, ils cherchent à être aussi costaud qu’eux et cela causerait leurs pertes. D’autres élaborent des théories sur les origines sociales des sportifs caucasiens, mais peinent à être convaincants.
En effet, on nous explique que le jeune blanc bourgeois n’a pas l’envie suffisante de se surpasser afin d’aller chercher un gros contrat NBA pour mettre la daronne à l’abri. Le fait est que le népotisme est passé par là et qu’être issu d’un milieu aisé n’est plus une tare pour intégrer la NBA. Le mythe du jeune noir mort de faim en provenance des quartiers travaillant sans relâche sur les playgrounds pour sortir de sa condition est aujourd’hui obsolète.
Personnellement, la question de savoir pourquoi il n’y a pas davantage de joueurs blancs n’a pas d’intérêt et ne mérite pas qu’on s’y attarde. Elle le mériterait si c’était une question de discrimination, mais ce n’est pas le cas. Car noirs ou blancs, ceux qui sont sans doute le plus discriminés actuellement sont les athlètes homosexuels. Là aussi, la NBA a du pain sur la planche pour faire qu’en son sein les mentalités évoluent.
Dans les années 90, John Amaechi des Utah Jazz s’est senti grandement offensé par son entraîneur Jerry Sloan. Ce dernier n’a de cesse d’utiliser les pires insultes homophobes possibles lorsqu’il s’énerve sur ses joueurs. Malheureusement pour Amaechi, noir et gay, l’homophobie est aussi une discrimination structurelle en NBA. C’est une double peine pour certainement beaucoup plus de joueurs qu’on ne le pense, hier comme aujourd’hui.
Toujours dans les années 90, la question de la place de l’homme blanc en NBA ne cesse de préoccuper les esprits. La presse se fait le relais de leur sort et de comment ils vivent leur expérience en NBA. Le même témoignage revient en boucle comme celui de Danny Ainge. Il est l’un des plus grands athlètes de son époque et pourtant lorsqu’on évoque sa réussite c’est son intelligence qui est mise en avant.
Le joueur blanc est sous-représenté et donc lui-même devenu victime de clichés, on perçoit dans la presse comme une certaine empathie pour cette race en voie d’extinction. Le joueur des Cleveland Cavaliers, Danny Ferry, se confie à elle et fait part de son expérience de joueur blanc en NBA. Il l’a définie comme un monde imparfait, mais un bon monde malgré tout. Pourtant, 17 ans plus tard, il est évincé de son rôle de General Manager des Atlanta Hawks pour avoir tenu des propos racistes à l’encontre de Luol Deng.
Ceci est une preuve, s’il en fallait une, que les états d’âme des joueurs blancs transcrits par les journalistes n’ont que peu d’importance. Cependant, elles ont un écho et un impact, celui de remettre une pièce dans le débat du Great White Hope.
Les faux espoirs
Inévitablement, dés qu’un universitaire aux fausses allures du grand blond des Boston Celtics sort du bois, il devient le futur grand espoir blanc. Le premier de cette liste se nomme Keith Van Horn, en provenance de l’université de Utah. Le prodige aux mensurations proches de l’ancienne légende du Massachusetts intéresse une presse toujours aussi obsédée par l’avènement d’un champion au visage pâle. C’est le regretté Bison Dele qui en parle lors d’une interview, lui qui vient d’être blâmé d’avoir utilisé la mention Great White Hope en parlant de Keith Van Horn.
« Ce n’est pas moi qui ait appelé Keith, le prochain Larry Bird. C’est la presse qui l’a fait. La question que la presse se pose est “que sont-ils devenus ?” (en parlant des joueurs blancs) Je ne sais pas. Si tu es capable de jouer en NBA, tu joues en NBA, si tu ne peux pas tu n’as rien à faire ici. »
Keith Van Horn qui arrive aux New Jersey Nets en 1997 se retrouve alors malgré lui avec des attentes au-dessus de son véritable niveau. Malheureusement et en dépit d’une carrière plus qu’honorable, il est loin d’avoir le talent de Larry Bird, il n’a même pas la carrure d’un All Star. Son parcours devient alors une sorte d’échec alors que 95 % des joueurs NBA n’ont pas réussi à performer comme il a pu le faire.
En 2004, la question du manque de stars blanches est posée à Larry Bird. Comme Wilt Chamberlain, il pense que plus de vedettes blanches serait un bien pour le supporter qui manque de joueurs à qui s’identifier. Après tout, 90 % des fans de basketball sont blancs, cela peut paraître légitime que ce public souhaite voir quelqu’un en qui se reconnaître.
Cependant il ajoute ceci :
« Je pense que c’est bon pour une base de fans, car, comme nous le savons tous, la majorité des fans sont des Américains blancs. Et si vous n’aviez que quelques blancs là-dedans, vous pourriez les exciter un peu. Mais c’est un jeu d’hommes noirs, et ce le sera pour toujours ».
La volonté absolue de trouver à tout prix un grand espoir blanc amène la presse à sans cesse vouloir mettre en avant de jeunes collégiens en les annonçant comme la pépite tant attendus. Cette mauvaise manie envoie sur le billot de nombreux joueurs comme Tyler Hansbrough, Jimmer Fredette ou encore Adam Morrison. Ce dernier est même tourné au ridicule par une presse qui a pourtant elle-même fait de lui le prochain Great White Hope.
On sent comme une amertume pour certains de constater que les meilleurs joueurs des dernières années ne sont que Kevin Love ou Gordon Hayward. Même le très bon Chet Holgrem ne reçoit pas l’enthousiasme du public blanc en quête de représentativité. Tant qu’il n’auront pas leur LeBron James blanc et américain, ils ne seront pas comblés.
Cooper Flagg, l’élu
Le public blanc se recherche une star et cela en dépit du fait que la plupart des plus grands joueurs de l’histoire sont avant toute chose, des Américains. Si les médias accordent autant d’importance à se trouver un héros blanc, c’est que même en 2024, la question de la couleur de peau a toujours sa place dans la société.
Les mêmes blancs qui nourrissent un besoin d’identité nationale ne peuvent se satisfaire d’un champion qui, même s’il a la même origine ou nationalité qu’eux, n’a pas la même couleur de peau. Heureusement, cela n’est pas le cas de l’ensemble des fans de NBA, mais il flotte toujours dans l’air une odeur de soufre. Nous sommes encore loin d’être une société fonctionnelle qui n’attache pas d’importance à la race ou aux genres, et la NBA ressemble à cette société comme elle y ressemblait au milieu des années 60.
Mais l’Amérique de 2024 est celle des WASPS dirigés par Donald Trump. Leur besoin de représentation devient une urgence. Un besoin renforcé par la présence des européens en NBA, car dorénavant, le White Male American est dominé par les afro-américains et les stars du vieux continent. Le fan blanc est aujourd’hui doublement perdant et sa fierté nationale en prend un coup.
C’est dans ce climat douteux qu’arrive Cooper Flagg, le jeune homme n’a rien demandé, mais il est désormais attendu comme le sauveur d’un public qui veut sa superstar, un héros capable de regarder dans les yeux ceux qui ne sont pas de leur monde. La quête du Great White Hope est une hérésie si on nourrit l’envie d’une NBA plus égalitaire ou la couleur de peau de qui que ce soit ne devrait pas être une donnée qu’on prend en compte.
Malheureusement, nous ne sommes pas près de ne plus faire de différence, et on voit même de nombreux fans aujourd’hui qualifier certains joueurs de « lightskin », comme si la séparation entre noirs et blancs ne suffisait pas et qu’il faudrait dorénavant distinguer les athlètes noirs entre eux.
L’Amérique de Donald Trump apparaît plus divisée que jamais et la probabilité de voir de nouveaux scandales raciaux plane plus que jamais au-dessus des États-Unis et donc de la NBA. Tout laisse à penser que des batailles déjà gagnées par le passé semblent devoir être à nouveau menées.
Cooper Flagg possède le talent et les aptitudes physiques pour répondre aux attentes placées en lui. Son potentiel affolant fait déjà l’objet d’articles ou de vidéos accompagnés de la mention « Great White Hope ». Si à l’avenir des articles de ce genre se présentent à vous, il ne faudra pas oublier les raisons de leur existence. L’espoir blanc n’est pas une question sympathique qui peut faire l’objet d’un débat comme un autre. Il n’est que le fruit de l’inconfort du public blanc face au succès des sportifs afro-américains, le symbole d’un monde divisé.