Pour la neuvième fois, la France et les États-Unis se rencontrent aux Jeux Olympiques masculins, et pour la quatrième fois, ce match se déroule en finale de la compétition. Une longue histoire, qui reflète également l’évolution du basket français. Une histoire qui mérite d’être racontée afin de comprendre comment on en est arrivé là.
États-Unis – France, Jeux Olympiques 1948
Le premier match entre ces deux nations ne pouvait pas avoir plus d’importance: une finale des JO. A la Harringay Arena de Londres, les américains étaient les favoris, comme d’habitude, et ont remporté tous leurs matchs, comme d’habitude. Les français eux ont terminé 2e de leur groupe après une défaite face au Mexique, puis après des matchs difficiles face au Chili et au Brésil, a atteint la finale de 1948.
Habituellement dominants, les français donnent du fil à retordre aux américains au début de rencontre, forçant Bud Browning à changer son plan tactique. Une fois la Team USA en place, la France n’avait plus aucune chance. Plus grands, plus costauds, plus assidus tactiquement, rien n’allait arrêter l’équipe américaine. Victoire 65-21 pour les États-Unis, avec Alex Groza et Ray Lumpp combinant pour 21 points à eux seuls. Côté français, René Chocat était le meilleur marqueur avec 8, mais le reste de l’équipe n’a pas pu suivre. Les américains rentrèrent 26 de leurs 48 tirs soit 54 % de réussite quand les français n’affichèrent qu’un misérable 7 sur 67 soit 14% de réussite seulement.
Lourde défaite, mais match symbolique pour les Bleus, la première finale de son histoire, peu importe la compétition. Hélas pendant très longtemps, ce succès fut le seul d’une équipe de France qui a eu du mal à construire sur le succès de la moitié du 20e siècle pendant la période Robert Busnel.
La France affrontera ensuite les États-Unis lors de 3 phases finales de Coupe du Monde différentes, en 1950, 1954 et 1963, avec un paterne similaire à chaque fois. Les Bleus sont vaillants en première mi-temps, restent proches de leurs adversaires avant la pause, puis s’effondrent au retour des vestiaires. Après la dernière défaite, il faudra attendre longtemps avant de croiser leur chemin une nouvelle fois en compétition officielle.
États-Unis – France, Jeux Olympiques 1984
A partir de 1963, c’est la traversée du désert. Plus de Coupe du Monde ou de Jeux Olympiques jusqu’en 1984. Sur le papier, avec Hervé Dubuisson, Jean-Michel Sénégal, Richard Dacoury et Jacques Monclar, la France possède une équipe qui peut avoir des ambitions durant les olympiades de Los Angeles. Dans les faits, avec une fédération qui organise une préparation approximative sur le terrain et en dehors, un staff limité à un coach et un préparateur physique et un manque de sérieux de la part des joueurs, la France finit avant-dernier du tournoi.
Trois joueurs ont été sanctionnés pour avoir dérogé, avant l’ouverture du tournoi, au règlement intérieur. Dacoury était arrivé tardivement à un rendez-vous après avoir pris trop de temps chez un coiffeur, et les Beugnot, Éric et Grégor, ont rejoint le village olympique après le couvre-feu. A la place d’une amende, le coach Jean Luent les a privés du match contre les États-Unis. Cette atmosphère de honte, ce manque de cohésion ont mené à la plus grande défaite de l’histoire de l’équipe de France. Face aux Américains, les joueurs étaient en stress, comme l’a raconté Monclar, ou impressionné par l’écart de niveau, comme Patrick Cham.
« Tu arrivais au milieu de terrain avec le cœur à 150. […] Tu pars à la catastrophe. »
- Jacques Monclar, qui a eu 7 pertes de balle durant le match
« Tétanisée non mais il y avait un tel fossé entre le basket français et américain à cette époque. On était impressionné. Il y avait un tel niveau de jeu que c’était dur de s’exprimer. »
Avec un score de 57-25 à la mi-temps, il n’y avait aucun espoir de voir un retour miraculeux des Bleus qui s’inclinent 120-62. Steve Alford, Michael Jordan, Vern Fleming, Alvin Robertson et Patrick Ewing ont combiné pour 74 points à eux tout seul. Côté français, seuls Dubuisson, Philippe Szanyiel et Stephane Ostrowski ont eu un match honorable. Mais il est clair que pour rattraper les américains, la France a encore un long chemin à parcourir.
Après le mondial 86, les Bleus entament une nouvelle période sans Jeux Olympiques ou Coupe du Monde qui dure jusqu’en 2000. Dès lors, le statut de la France dans le basket mondial va commencer à changer pendant les années à suivre.
France – États-Unis, Jeux Olympiques 2000
Après un 4e place à l’EuroBasket 1999, la France est de retour aux Jeux Olympiques, et arrive avec de maigres espoirs. Si l’équipe possède Antoine Rigaudeau et Laurent Sciarra entre autres et ressort de son meilleur championnat d’Europe de la décennie, sa préparation n’a pas vraiment donné confiance. Et une phase de groupe en 2-2, perdant contre la Lituanie et l’Italie, ne rassure pas les observateurs… puis vient le match face aux États-Unis.
La France est déjà qualifiée, grâce à sa victoire face à la Chine qui assure que le départage se fait en faveur des Bleus. Maintenant, il s’agit de ne pas être ridicule face à la Team USA… visiblement, personne n’a dit ça à Vince Carter. Un dunk rentré dans la légende sur le pauvre Frédéric Weis, le 15e choix de la draft 1999. Vinsanity n’en a rien à faire qu’il fait 2,18 m, il saute par-dessus le pivot, et le monde est sous le choc. Pour le reste du match, Antonio McDyess et Kevin Garnett font le travail, avec 39 points et 22 rebonds cumulés. Les 21 points de Sciarra ne sont pas suffisants. 106-94 pour les États-Unis.
Avec un bilan de 2-3, la France affronte le Canada, qui a fini premier de son groupe en quart de finale, avec l’acceptation du public que ça allait être la fin du parcours français. Pourtant, les Bleus parviennent à vaincre les Canadiens avec une prestation défensive remarquable sur Steve Nash. 68-63 pour les tricolores, et pour la première fois depuis 1956, est dans le dernier carré du tournoi. Les Bleus continuent leur bon parcours et tombent sur les hôtes australiens. Les hommes de Jean-Pierre de Vincenzi ont continué avec cette identité défensive pour terrasser les hôtes australiens, 76-52. Incroyable mais vrai, la France, pour la première fois depuis 1948, est en finale des Jeux Olympiques.
Pendant ce temps, les américains ont aussi atteint la finale, mais se sont fait peur face à la Lituanie. Menée 36–48, il a fallu un incroyable effort de Carter et Garnett pour permettre à la Team USA de s’en sortir, survivant grâce à un buzzer-beater raté de justesse pour gagner 85-83. Cette équipe américaine n’est visiblement pas aussi invincible que celle des années précédentes. Alors peut-être…
Comme attendu, les américains, menés par Vince Carter, dominent la première mi-temps. Avec 32–46 après 20 minutes, tout le monde se prépare à une nouvelle démonstration de la part des stars NBA. Au retour des vestiaires, Laurent Sciarra et Stéphane Risacher, père de Zaccharie, sonnent la révolte en seconde période. Petit à petit, l’écart se réduit, le public australien se met du côté français, soutenant les outsiders. Et alors qu’il ne reste qu’un peu plus de 4 minutes au chrono, Rigaudeau plante un 3 points « in your face » comme on dit aux États-Unis. Personne n’y croit, mais les Bleus n’ont plus que 4 points de retard. Rudy Tomjanovich prend un temps-mort. La Team USA n’est pas sereine.
Hélas, les tricolores n’avaient plus rien à offrir. Les américains redoublent d’intensité et les français ne peuvent pas suivre. Victoire 75-85 de la Team USA. La France s’incline, mais n’a pas à avoir honte après un tel parcours et une telle finale, un match inattendu, et le point d’orgue du basket français à cette époque. Avec une nouvelle génération qui arrive, championne d’Europe juniors cette même année, on se dit que la France a les moyens de s’inscrire dans la durée.
États-Unis – France, Jeux Olympiques 2012
12 ans plus tard, c’est la génération Tony Parker qui se charge de défier la Team USA. Depuis l’an 2000, de plus en plus de français se sont installés en NBA, et on en retrouve quelques-uns ici. Kevin Séraphin, Nicolas Batum, Nando de Colo, Boris Diaw et Ronny Turiaf. Finaliste de l’EuroBasket 2011, cette équipe de France semble se rapprocher de son apogée et veut obtenir une nouvelle médaille. Mais pour ça, il faut d’abord passer par les États-Unis pour leur premier match de groupe.
Grâce à une belle défense, ils ont résisté pendant un quart-temps, étant mené 22-21 après 10 minutes. Hélas, la rencontre s’est vite tournée en démonstration. La défense ne tenait plus, et pire encore, l’adresse était inexistante. 2 sur 22 à trois points et 17 sur 27 aux lancers francs. Le pressing américain était beaucoup trop pesant pour cette équipe, alors que LeBron James jouait un rôle similaire à Kobe Bryant 4 ans plus tôt.
Pendant ce temps Kevin Durant, meilleur marqueur américain avec 22 points a commencé à mettre ses tirs, le match était maintenant hors de portée. 52-36 à la pause. La deuxième période a tourné à une démonstration d’acrobaties entrecoupée de quelques paniers de Parker (10 points à 4-11) et d’Ali Traoré (12), avec deux entraîneurs ouvrant largement leur banc. Score final, 98-71. Les Bleus sont meilleurs qu’il y a 12 ans. Le problème, c’est que les américains aussi, depuis l’arrivée de la Redeem Team suite à l’échec de 2004.
Par la suite, la France remporte les 4 matchs suivants pour finir 2e du groupe avant d’affronter l’Espagne, où après un 4e quart-temps catastrophique, les vice-champions olympiques et champions d’Europe en titre éliminent les Bleus en quart de finale. Les tricolores prendront enfin leur revanche l’année suivante en remportant l’EuroBasket 2013, le premier trophée majeur du basket français. Un cap semble être passé pour la France.
États-Unis – France, Jeux Olympiques 2016
Les deux équipes s’affrontent une nouvelle fois 4 ans plus tard, dans ce qui est le prévu comme le dernier tournoi de Parker avec l’équipe de France. Si leur affrontement en 2012 était en ouverture de la phase de groupe, celui-ci est en conclusion de la poule. Alors que les deux équipes sont déjà qualifiées pour les quarts, Tony est mis au repos à cause d’une blessure à l’orteil. Les attentes autour de ce match sont minimes.
Et pourtant, avec un De Colo des grands soirs (18 points à 8 sur 13 aux tirs, 4 rebonds et 5 passes en 19 minutes pour le MVP de l’Euroleague), ainsi que Thomas Heurtel, meilleur passeur de l’EuroLeague proche de réaliser un triple double (18 points, 8 rebonds, 9 passes décisives), et un superbe jeu collectif, les Bleus ont joué les yeux dans les yeux avec Team USA.
Au premier quart-temps, les Français sont même passés devant après 8 minutes de jeu, menant 21-22. Si le banc a eu du mal à suivre, les Bleus n’ont jamais laissé les Américains s’envoler pendant la première mi-temps. Pourtant, avec un Klay Thompson en feu (30 points à 7 sur 13 à trois points) et un Durant très efficace. (17 points, 6 rebonds, 4 passes décisives), le Team USA s’est construit un matelas confortable, menant 78-62, 29e pendant le 3e quart.
Sans Nando pendant presque toute la deuxième mi-temps à cause d’une blessure au genou, la France a cependant réussi à revenir au score. Avec notamment Heurtel et Batum (14 points), les Bleus échouent finalement à trois points. Défaite 100-97. Face aux Américains, c’est déjà une vraie performance. Jamais les français n’ont été aussi proches de vaincre la Team USA.
Si ce match pouvait laisser croire à de grandes ambitions pour la suite du tournoi, une humiliation en quart face à l’Espagne fut une douche froide, d’autant plus que ce fut le dernier match de Tony Parker avec le maillot de l’équipe nationale. Sans son leader, le plus grand joueur dans son histoire, comment aller de l’avant?
Après un EuroBasket 2017 décevant, la France se relance en 2019 lors de la Coupe du Monde avec la nouvelle génération. Avec Rudy Gobert, Nando et Evan Fournier, les Bleus battent enfin les États-Unis en compétition officielle, les éliminant en quart de finale. Peu importe si ce n’est pas la meilleure équipe américaine, avec beaucoup de stars absentes, ce match restera à jamais dans l’histoire du basket français comme un moment très important. Au final, l’équipe termine 3e après une lourde défaite en demi-finale contre l’Argentine. Mais malgré tout, le basket français est relancé dans cette période post-Tony Parker.
France – États-Unis, Jeux Olympiques 2020
Malgré une préparation décevante, les Bleus arrivent à Tokyo en 2021 (même si le tournoi s’appelle 2020) avec de l’ambition. Le but? Une médaille, comme en 2019. Et pour cela, il faut d’abord passer par une équipe américaine en quête de revanche après s’être fait humilier en Chine. Ils ont ramené les stars, et ça se voit.
Avec Damian Lillard et Bam Adebayo qui mène les troupes avec respectivement à 9 et 10 points à la mi-temps, la Team USA mène à la pause 35-45. Côté français, Fournier (12 points en première période) et Gobert (9 points, 7 rebonds à la pause) ne lâchaient rien et maintenaient les Bleus dans le match. Mais au retour des vestiaires, il y a un déclic.
Alors que la défense française se resserre, forçant Durant à un mauvais match (10 points à 4-12 aux tirs), les Bleus sont également inarrêtable en attaque. Résultat? 25-11 sur le 3e quart, et maintenant l’espoir est permis pour les tricolores. Le quatrième quart promettait et ne décevait pas. Les deux équipes étaient au coude à coude. Dans le money time, les Américains, portés par un excellent Jrue Holiday (18 points, 7 rebonds en sortie de banc) et une défense à la hauteur repassent devant. Pourtant les Bleus s’accrochaient et à une minute du terme, Fournier inscrivait son 27e point pour refaire passer les siens devant à 76-74 à 57 secondes de la fin.
Les hommes de Gregg Popovich avaient plusieurs occasions de revenir au score mais manquaient d’adresse. De Colo plante deux lancers francs pour donner quatre points d’avance aux Bleus à 20 secondes du coup de sifflet final. Incapables de retrouver leur adresse, les Américains ne sont pas revenus et Fournier, 28 points au compteur, finit le travail. Victoire 83-76. Pour la deuxième rencontre consécutive, la France a battu les américains en compétition officielle. Absolument exceptionnel.
Les hommes de Vincent Collet continuent leur chemin, terminant premier de son groupe pour atteindre les quarts de finale. Ce ne fut pas facile, mais après une victoire contre l’Italie, les Bleus étaient en demi-finale pour la première fois depuis 2000. Puis, au terme d’un match incroyable et après le contre légendaire de Batum, ils étaient en finale pour la 3e fois de son histoire? Leurs adversaires? Une bête revigorée.
La France n’a pas peur cela dit, et connaît le point faible de cette équipe américaine: le secteur intérieur. Gobert domine sous le panier face à Draymond Green pour ouvrir le match. Mais Durant n’allait pas laisser les États-Unis perdre une nouvelle fois. Ils poussent l’équipe vers l’avant pour mener 18-22 à la fin du premier quart, puis 39-44 à la mi-temps. Le joueur des Brooklyn Nets a déjà inscrit 21 points pendant cette période. Portés par le Slim Reaper, les Etats-Unis prennent jusqu’à 13 points d’avance. Pourtant, l’équipe française ne se désunit pas. Cherchant ses intérieurs, elle comble peu à peu son retard.
Dominant la raquette, Gobert inscrit 16 points dans ce match, mais rate des lancers francs cruciaux. Pendant ce temps, les américains jouent une défense suffocante, provoquant 18 pertes de balles. La France continue avec un beau 4e quart, ils reviendront même à 3 points à dix secondes du terme, dans une fin de rencontre qu’ils tentent d’emballer. En vain. Si près, mais si loin, les Bleus n’ont jamais abandonné dans cette finale et ont forcé les Américains à ne jamais baisser la garde. Défaite 82-87 pour les hommes de Collet. Si l’écart final est minime, le plus petit dans une finale depuis que la NBA irrigue l’équipe américaine, la déception est immense.
« Le basket français en est arrivé là : on finit deuxièmes aux Jeux olympiques et on ne s’en satisfait pas » déclare le capitaine des Bleus, Nicolas Batum. « Ça montre notre progression, car il y a dix ou quinze ans on était contents de finir cinquièmes au Mondial. »
Loin est la période où les Bleus étaient simplement contents d’être là, contents d’aller loin dans un tournoi. C’est une équipe qui a faim, qui veut des médailles, des titres. Hélas, l’été suivant, les français ratent l’opportunité de remporter un deuxième EuroBasket en échouant en finale face à l’Espagne après un tournoi riche en émotion. Et après une Coupe du Monde atroce, où les joueurs de la nation européenne finissent 18e, des questions se posaient sur la capacité de l’équipe à défendre son honneur lors des Jeux Olympiques de Paris.
Ces doutes se sont intensifiés avec les mois qui avancent, et une préparation catastrophique, ainsi qu’un début de compétition embarrassant. Et pourtant, grâce à des ajustements mi-tournoi, les voilà. Les Bleus sont à nouveau en finale des Jeux Olympiques, et vont à nouveau affronter les américains. Est-ce que le résultat sera le même qu’en 1948, 2000 et 2021? Ou est-ce que cette équipe, au croisement de deux générations, va réussir l’exploit?