Si pour nous autres francophones, cette saga n’évoque pas grand-chose, The Complete Handbook of Pro Basketball a été la série d’ouvrages de référence pour les amateurs du basketball américain pendant près de trois décennies. Un guide à parution annuelle, sorte d’almanach ultime des temps antédiluviens (1971-1998).
Car avant l’avènement du World Wide Web, suivre son sport favori n’était pas aussi simple. Livres et magazines étaient alors les fidèles alliés des Américains friands de découvrir le nouvel effectif de leur équipe préférée. En ces temps pré-connectés, le papier était la seule source d’information pour l’immense majorité des suiveurs de la NBA, au-delà du match télévisé en lui-même (diffusion au compte-goutte par rapport à l’époque moderne), sans parler de la chaotique décennie 70 pour les retransmissions.
À l’initiative de ce guide, c’est un journaliste de Pittsburgh, ami intime de Julius Erving et spécialiste de la ABA, Jim O’Brien qui lancera le premier tome en 1971, couvrant à la fois la NBA et la ABA. En 1975, il laisse le projet aux mains d’un autre journaliste et éditeur, le new yorkais Zander Hollander, qui fera tourner la boutique avec son équipe jusqu’en 1998. À noter que le guide labelisé « The Complete Handbook of Pro… » existait également pour le football, le baseball et le hockey, toujours sous la coupe d’Hollander, mais avec une équipe rédactionnelle différente.
Pour chaque équipe, l’ensemble du staff est cité, l’entraîneur principal a le droit à son portrait, un scouting report présente l’équipe à travers cinq points majeurs : shooting / playmaking / defense / rebounding / outlook. Puis viennent les fameux portraits de joueurs, complétés par leurs statistiques en carrière, suivis de quelques lignes sur les rookies fraîchement draftés pendant l’été. Pour finir, un point historique avec les leaders all-time de la franchise sur les trois statistiques principales, par saison, match et carrière. Selon les années, une rubrique historique s’incrémente. Pour 1986 par exemple, un petit texte présente le meilleur dunkeur de l’histoire de la franchise, pour 1992 son meilleur rebondeur, pour 1991 son meilleur passeur all-time, etc.
Les auteurs prennent parti, donnent leur avis de but en blanc. On est loin du média baudruche servant la soupe à la ESPN d’aujourd’hui. L’équipe de rédacteurs a énormément varié d’années en années, mais le ton semble avoir été respecté. Fred Kerber, Scott Howard-Cooper, Fran Blanbury, Mike Weber, Kevin Kernan, Corky Meinecke, Conrad Brunner, Bob Ryan, Woodrow Paige sont tout autant de noms ayant dressé les portraits des quelques 300 joueurs composant la NBA chaque année.
Exemple avec l’édition 1990 et les New York Knicks
Ce qui rend agréable et ludique la lecture de ces guides, c’est le ton employé pour les portraits de joueurs. S’ils se veulent synthétiques, la moyenne étant d’une petite centaine de mots par joueur comme vous pouvez le voir, les auteurs ne manquent pas d’y intégrer quelques bons mots, d’aucuns diraient des punchlines. Le ton est acerbe mais franchement drôle. Florilège, pris au hasard de l’édition 1992 :
- Sur Drazen Petrovic : One of the best stand-still shooters in the league… Couldn’t guard a closed door, however.
- Sur Chris Morris : Incredibly gifted athlete… Incredibly dumb decisions… May have the hands-down worst shot-selection in league.
- Sur B.J. Armstrong : Even with a championship ring on his hand, he’d get proofed going to a PG-13 movie.
- Sur Alan Ogg : Quick question : what nationality is Ogg? … Is Cro-Magnon a nationality? Graduate of Manute Bol School of Body Building… Doesn’t rebound, doesn’t score, can block shots… Hey, he is 7-2.
Mais le plus souvent, et heureusement, les auteurs savaient être élogieux, comme ici avec Pistol Pete :
Quoi de mieux pour évoquer cette saga que de demander aux lecteurs eux-mêmes ?
Contacté via son site officiel, l’auteur et journaliste Jeff Pearlman, auteur de Showtime, de la biographie de Bo Jackson ou de Three Ring Circus (récemment traduit en français aux éditions Talent Sport), me raconte :
« J’ai commencé à acheter ces livres à l’âge de 8 ou 9 ans et je les adorais. J’achetais les volumes « Complete Handbook… » sur la NFL, la NBA et la MLB, et c’étaient des bibles pour moi. Bien avant Internet, ils fournissaient des informations sur des équipes que l’on ne voyait pas souvent, sur des joueurs que l’on regardait rarement. Par exemple, en tant que New-Yorkais, je ne voyais pas souvent les San Diego Padres. Les livres m’ont donc permis d’accéder à l’information et de m’éduquer. Ils étaient également très drôles et sarcastiques. Tout simplement superbes. »
Sur le site web communautaire Reddit, des passionnés échangent leurs tuyaux pour trouver des versions manquantes à leur bibliothèque et débattent entre eux sur le prix délirant de certains volumes. Contactés par messages privés, certains ont bien voulu parler de leur lubie :
« Aussi loin que je me souvienne, le premier « vrai » livre que j’ai terminé était un des guides de baseball de Hollander, c’était l’année 1988, j’avais 10 ans. C’est devenu un rituel par la suite : chaque année, mes parents achetaient les guides pour le basket et le baseball, les deux sports que nous adorions, mon frère et moi. Le petit format permettait de les transporter partout, c’était évidemment une belle monnaie d’échange à l’école, on se prêtait d’anciennes éditions entre nous. J’étais du genre à lire et relire les portraits de mes joueurs favoris, j’apprenais même leurs lignes de statistiques par cœur ! Si je devais sortir un défaut de tout ça, mais c’était inévitable : les effectifs n’étaient pas toujours à jour. Je pense que selon la date de sortie et celle de la fin des transferts, c’était impossible d’être raccord. Je ne parle même pas des transferts de l’hiver, mais c’était un peu le même problème pour les trading cards à collectionner. »
Phillip, fan des Celtics et des Red Sox
Un deuxième témoignage :
« Le ton décalé sur certains portraits, je ne m’en rendais pas trop compte à l’époque. C’est plus grand, lorsque j’en relisais certains, que je comprenais la référence ou bien le trait d’humour. Je crois que ça faisait partie du succès des livres, au-delà du fait que c’était une des rares sources d’informations vraiment complètes sur notre sport. En fait, à part quelques magazines que je pouvais me faire acheter par mon père de temps en temps, cela devait être ma seule source pour suivre le basket dans l’année, au-delà des matchs télévisés. Ce qui était bien également dans ces guides, c’était d’avoir le calendrier des diffusions des matchs. C’était surtout sur TNT en semaine et un peu NBC le week-end. Mon premier guide était celui sur le basket de 1991, et j’ai ceux jusqu’en 1998. J’aimerais progressivement acheter les versions antérieures à 1991. J’ai aussi les années 1994 et 1996 pour la NFL. »
Andrew, fan des Bucks et des Green Bay Packers
Quid de la concurrence à l’époque ?
Le principal concurrent était le guide annuel du Sporting News, qui avait un ton bien différent, mettant l’accent sur les statistiques brutes, avec un format plus compact et direct, sans analyse. Un ton évidemment plus froid, impersonnel, sorte de Basketball Reference avant l’heure, qui était malgré tout le tirage le plus important du fait de l’empire Sporting News et du partenariat officiel avec la NBA. N’étant qu’essentiellement un concentré de datas, cette saga a mal vieilli avec l’arrivée d’internet, tandis que The Complete Handbook of Pro Basketball conserve une aura particulière grâce à ses textes et analyses.
1998, la fin des The Complete Handbook of Pro Basketball
1998 sera la dernière année de publication. Pourquoi? Plusieurs raisons. La première, c’est la crise cardiaque de Hollander en 1998, suivie de l’arrivée de la maladie d’Alzheimer deux ans plus tard. La deuxième, c’est l’arrivée d’Internet. Avec la généralisation progressive du web, l’intérêt de reprendre ce travail titanesque, orphelin de son éditeur en chef, devenait limité. Hollander est décédé en 2014, Jim O’Brien, l’initiateur de la saga, est quant à lui toujours vivant. The Sporting News a continué de sortir son guide statistique pendant encore quelques années, jusqu’en 2006, avant de passer au tout numérique.
Pour les utilisateurs du réseau social X, Hoops Analyst est un compte formidable à suivre, car il partage quotidiennement des captures photos de ces portraits issus des The Complete Handbook of Pro Basketball.
Pour les amateurs de papier, souhaitant manier les livres en mains, la tâche sera ardue : ces guides ne sont plus édités, le marché de l’occasion n’en propose qu’une poignée, et à des prix déraisonnables. À titre personnel, je n’ai trouvé que 3 éditions papiers à prix abordables, en occasion évidemment. Fort heureusement, certaines éditions sont trouvables numériquement, notamment sur Internet Archive.