La carrière de Jack Twyman débute en 1955 avec les Cincinnati Royals. Un temps suffisamment lointain pour que son nom soit en partie oublié. Il faut dire qu’il n’est pas un des plus grands joueurs de tous les temps. Il est donc normal qu’il ne soit pas plus connu et reconnu que cela. Pourtant, il est essentiel de perpétuer son héritage autant que possible. Se remémorer Twyman c’est également raviver le souvenir de son partenaire Maurice Stokes. Ensemble, ils traversent les épreuves dans ce qui est une des plus tragiques, mais aussi une des plus belles histoires d’amitiés qui soient.
Arrivée en NBA
Jack Twyman n’est pas un enfant de la balle, lorsqu’il commence à jouer au basket-ball, il doit faire preuve de persévérance. Il veut absolument faire partie de l’équipe de son école, la Central Catholic HighSchool. Cependant, il doit travailler d’arrache-pied pour y parvenir. Car avant d’intégrer l’effectif, il s’est vu être recalé à trois reprises. Un dur labeur qui est payant puisqu’il est en fin de compte élu parmi les meilleurs lycéens de son état.
Une reconnaissance qui lui permet d’incorporer la faculté de Cincinnati où il reste pendant quatre ans. Un démarrage timide, mais une évolution constante pour finalement aligner 25 points et 16 rebonds de moyenne au cours de sa dernière saison sous le maillot des BearCats. Pas de titre universitaire, pas d’exploits retentissant, si ce n’est une troisième place dans le tournoi NIT en 1955. C’est donc tout naturellement que les Cincinnati Royals sélectionnent la star locale lors de la draft avec le choix numéro 10.
Pourtant, ce n’est pas lui la recrue principale de sa franchise. Car avec le second pick, l’équipe de l’Ohio drafte Maurice Stokes le phénomène de la faculté de St Francis. Ce dernier affiche la ligne statistique monstrueuse de 27 points et 26 rebonds par rencontre. De quoi donner un nouveau souffle aux Royals qui voit s’achever l’ère du trio Davies, Wanzer et Risen champion en 1951. Les deux rookies ne vont pas décevoir et deviennent d’emblée les leaders de leur équipe.
Des débuts compliqués
Il est pourtant difficile pour cette jeune garde de s’imposer et les résultats demeurent médiocres. Les Royals stagnent aux entournures des 30 victoires et se voient écarter de la course aux Playoffs deux saisons de suite. Pour améliorer l’équipe, on décide de signer Clyde Lovelette. C’est un pivot doublement All Star et un champion NBA qui arrive des Minneapolis Lakers. Sa particularité est d’être un des premiers centres à utiliser le shoot extérieur de façon régulière et avec réussite. Il prend le lead offensivement et valide une saison à 23 points de moyenne.
Au milieu de tout cela, Jack Twyman affiche 16 points et 6 rebonds chaque soir avec une adresse de 44 % aux tirs. C’est autant de points que Maurice Stokes qui joue dix minutes de plus en moyenne. Mais celui qu’on surnomme Mo a de grande difficulté en attaque. Il refuse catégoriquement de porter des lunettes sur le terrain, ce qui le fait être particulièrement maladroit avec tout juste 35 % de réussite. Dominateur au rebond, fort passeur et capable de poser des triples doubles comme personne avant lui, Stokes est néanmoins une calamité lorsqu’il s’agit de tirer au panier.
Jack Twyman joue moins, environ 30 minutes par rencontre. Il est pourtant la main chaude de l’équipe et marque 1,2 points par tirs tentés. Il est de loin le shooteur le plus rentable des Royals. L’ajout de Lovelette n’améliore que très peu les résultats collectifs, mais permet quand même d’atteindre pour la première fois les playoffs. Une saison qui se conclut sur un succès face aux Lakers, et qui est aussi le moment où tout va basculer pour Jack Twyman et Maurice Stokes.
Le Drame
La malchance qui s’apprête à frapper Mo se passe en deux temps. Il y a d’abord ce dernier match de saison régulière qui les oppose à Minneapolis. Stokes fonce vers le cercle à toute vitesse et se fait percuter par le teigneux Vern Mikkelsen. Les deux hommes chutent lourdement sous les yeux d’un public hilare. Une scène comme on en voit bien souvent et de tout temps. Sauf que le pivot des Royals ne se relève pas, il est clairement sonné. Tel un boxeur, on le fait revenir à lui à l’aide de sel odorant. Il n’y a pas de protocoles commotions à cette époque et Stokes finit la partie, avec 24 points et 19 rebonds et la victoire en prime.
Seulement trois jours plus tard commencent les phases finales et les Royals font face aux Detroit Pistons. La première de Twyman et Stokes se solde par un échec de 17 points. Les deux joueurs sont plus que maladroits dans ce match et la défaite est on ne peut plus logique. Après la rencontre, Stokes dit ne pas se sentir bien, personne n’y prête vraiment attention. L’équipe se restaure et boit quelques bières comme c’est la coutume. L’intérieur continue de se plaindre, on ouvre la fenêtre du bus pour lui donner de l’air avant de devoir le porter jusque dans l’avion.
On pense alors qu’il doit avoir trop bu et une fois qu’il est assis dans l’appareil, on tente de le planquer. Les propriétaires font partie du vol ainsi que Maurice Podolloff, le commissionnaire, il s’agirait de ne pas faire mauvais genre. L’état de Stokes empire, dorénavant il a du mal à respirer, Jeanne Philips l’hôtesse en poste sur ce vol décide de lui donner de l’oxygène. On ne le sait pas encore à ce moment-là, mais elle vient sûrement de lui sauver la vie.
Ce n’est pas pour autant que son calvaire se termine. L’équipage a contacté l’hôpital de Cincinnati pour préparer d’urgence une ambulance. On transporte le joueur trempé de sueur et on l’installe dans le véhicule, direction les urgences. Une fois sur place on dispose une dizaine de sacs de glace sur son corps pour faire baisser sa température. Pepper Wilson, infirmière, se rappelle parfaitement de cet instant.
« C’était choquant de voir un gars comme Stokes allongé là, impuissant, incapable de parler ou de bouger. Il voulait nous atteindre, mais il n’y arrivait pas. Et quand il s’en est rendu compte, les larmes lui sont montées aux yeux. »
Le colosse des Royals sombre à ce moment-là dans le coma. On lui place des tubes dans son nez pour le nourrir, un autre dans sa bouche pour gérer la salive et un dernier en travers de sa gorge pour le permettre de respirer. La pression de la cabine de l’avion vient de réveiller un mal qui était en sommeil. Le trauma subi lors de sa chute face aux Lakers quelques jours plus tôt fait surface. Il ne sort du coma que deux mois plus tard, il lui est impossible de parler et il est paralysé.
Le Choc
On a tendance à oublier à quel point cet événement aurait pu changer l’histoire de la NBA et de la franchise des Royals en particulier. Suite à ce tragique incident, la plupart des joueurs du groupe sont traumatisés. Clyde Lovelette quitte Cincinnati et part rejoindre les Saint-Louis Hawks. Dick Ricketts s’engage avec la ligue de Base-ball, quand six autres coéquipiers décident tout simplement de se retirer. Il ne reste plus que Dave Piontek, Tom Marshall et Jack Twyman dans l’effectif. Il est même pendant un temps question de mettre un terme à l’activité du club.
Des journalistes demandent à Bobby Wanzer, ancienne gloire de la franchise devenue coach, comment compte s’en sortir Cincinnati sans Maurice Stokes.
« Vous l’avez vu jouer l’an dernier ? Vous pouvez regarder partout dans la ligue et vous ne trouverez pas plus complet que lui. »
On recrute de nouveaux joueurs, certains auront des carrières honorables comme le pivot Wayne Embry. Cependant, avec huit rookies, cette équipe ne peut pas espérer grand-chose. Cette saison est un désastre et les Royals ne remportent que 19 rencontres. Jack Twyman prend ses responsabilités dans ce moment difficile et passe maintenant 38 minutes en jeu et affiche désormais 26 points et 9 rebonds de moyenne. Il n’y a pas que sur le parquet qu’il s’implique. Avant le drame, lui et Stokes ne se parlaient quasiment jamais. Or, son partenaire avait besoin d’aide et son capitaine a également répondu présent à cet appel.
Les frais médicaux de Mo coûtent cher, il lui faut un tuteur pour que ce dernier puisse recevoir l’indemnité d’État qui finance les accidentés du travail. Ses parents résident en Pennsylvanie et le tuteur doit impérativement demeurer dans l’Ohio. C’est ainsi que Twyman propose d’endosser ce rôle qu’il va prendre très au sérieux. C’est un véritable chemin de croix dans lequel s’engage Stokes. Un combat pour la vie des plus difficiles pour un individu qui ne peut pour l’instant communiquer qu’en clignant des yeux. Jack Twyman devient celui qui se tiendra toujours à ses côtés. Un lien unique se tisse entre les deux hommes.
Capitaine Courage
Qui dit mauvais résultat, dit haut choix de loterie. Les Royals jettent leur dévolu sur Bob Boozer qui est un très bon joueur, mais il ne fera ses débuts que la saison suivante. Jack Twyman doit une fois de plus porter sa franchise sur ses épaules. Il finit avec 31 points de moyenne et 10 rebonds. Il devient ainsi avec Wilt Chamberlain, le premier joueur de l’histoire à signer un exercice à plus de 30 points par match. Malheureusement, le compteur de victoires ne bouge pas et s’arrête à 19 unités comme l’an passé.
Saison 1960/61, Bob Boozer fait son arrivée et il est accompagné du premier choix de la draft qui comme Twyman a fait ses gammes à l’université de Cincinnati. Il ne s’agit de nul autre que la légende de la mène, Oscar Robertson. Le joueur est fantastique et doit avoir les qualités pour emmener loin les Royals. Cependant, ce ne sera jamais le cas et les campagnes décevantes vont s’enchaîner, et cela malgré le renfort de Jerry Lucas. Seule la saison 1964/65 est porteuse de grands espoirs, mais elle se termine sur une défaite au premier tour face aux Philadelphia Sixers.
Jack Twyman a désormais 30 ans, il rempile pour un an de plus, mais il n’a plus le jus suffisant pour être encore performant. Il fait le choix de se retirer à la fin de la saison 1965/66 après onze ans d’activité. Son prime se déroule sur quatre années où il affiche 25 points, 8 rebonds et 3 passes, lors des pires heures de sa franchise. Il est néanmoins celui qui a permis au bateau Royals de ne pas sombrer. Il décide de prendre sa retraite, il finit sa carrière en étant All Star à six occasions et deux fois All NBA.
A Friend Like Jack
Si le combat des parquets s’est avéré compliqué, ce n’est rien à côté de celui mené par Mo. Afin de l’aider financièrement, Jack Twyman organise le Maurice Stokes Memorial Basketball Game. Un match de charité qui voit s’affronter quelques-unes des plus immenses stars de la ligue. Cette rencontre est d’une haute importance, car pour soigner Maurice il faut trouver environ 100 000 dollars chaque année.
Si Stokes a grondé plusieurs fois son coéquipier Twyman, c’est à cause de sa proportion à shooter à tout va. Jack est un scoreur, il possède la confiance des grands marqueurs. Cette confiance, il l’utilise également en dehors des terrains grâce à ses talents d’entrepreneurs. Directeur d’un cabinet d’assurance puis PDG d’une société qui distribue des denrées alimentaires, c’est un fonceur. Rien ne peut entamer sa foi, et il se débrouille toujours pour financer les frais médicaux de son ami, quitte à sortir l’argent de sa propre poche.
Il invite de grands journalistes à rendre visite à Stokes dans sa chambre d’hôpital. Après chaque article, de nombreuses lettres remplies d’argent parviennent à Jack de la part de gens touchés par l’histoire de ce géant meurtrie. Tout est bon pour apporter du bien-être à celui qui ne voit que peu sa famille. Il faut insister sur la difficulté de recouvrir de la mobilité pour un homme paralysé de cette taille. Aucun appareil à l’époque n’est conçu pour quelqu’un de deux mètres et 110 kilos. Chaque entraînement, chaque étirement et une souffrance, mais c’est aussi un pas de plus vers une amélioration.
Alors, quand Jack Twyman commence à amener sa femme et ses enfants voir Maurice, ce dernier peut trouver dans ces instants un réconfort qui l’encourage à se battre encore. Il n’hésite pas à mettre les bouchées doubles et fait ses exercices plusieurs fois dans la journée. Arriva le moment où il put tendre la main pour taper des mots sur une machine à écrire, sa première phrase fut pour son ami et ancien partenaire.
« Comment pourrais-je jamais te remercier pour tout ce que tu as fait ? »
Jack Twyman le remercia simplement de lui avoir si souvent remonté le moral. Les sourires de celui qui a toutes les raisons du monde d’être malheureux ont le don de le réconforter.
La Fin
L’article se nomme « un homme extraordinaire », mais ce sont bien deux personnages hors norme qui se retrouvent acteurs de ce récit. Maurice montre une abnégation admirable, il peut désormais prendre la parole, marcher quelques mètres et faire partiellement une pompe. Cela lui permet de se rendre en 1965, au fameux match de charité en son honneur. Il offre aux joueurs présent des poteries qu’il a faites de ses mains. Il en fait cadeau à Wilt Chamberlain et Oscar Robertson. Beaucoup d’entre eux ne peuvent contenir leurs larmes en contemplant ces objets qui ont pris une place particulière dans leurs armoires à trophées.
Les progrès sont énormes et minces à la fois. Jack a pris pour coutume d’invité tous les dimanches Mo chez lui. Il faut beaucoup de temps pour le placer sur un fauteuil et pour faire le trajet de l’ambulance à la table du repas. Il faut aussi une infirmière pour lui essuyer la bouche lorsqu’il mange. Le 30 mars 1970, il est victime d’une crise cardiaque et décède 6 jours plus tard. Mo s’éteint mais son souvenir continue d’être perpétué grâce au Stokes Games, son match de charité. Un événement qui reste important comme en témoigne cette phrase de Red Auerbach, en 1970 le manager des Celtics dit ceci à ses joueurs.
« C’est à vous de décider vous n’êtes pas contraint d’y participer, mais considérez que c’est obligatoire. »
La rencontre se tiendra jusque dans les années 2000, avant de devenir un tournoi de golf. De moins en moins de joueurs se prenant au jeu. Son histoire est aussi portée au cinéma en 1973 dans le film Maurie réalisé par Daniel Mann. Il faudra par ailleurs que Jack Twyman fasse encore preuve de détermination pour que Maurice Stokes se voie intronisé au Hall Of Fame en 2004. C’est bien entendu lui-même qui a le privilège de faire le discours en son honneur.
« Maurice nous a beaucoup enseigné. Nous avons beaucoup appris de lui, nous sommes flattés d’avoir eu l’opportunité d’être associés à lui. »
Cependant, la phrase la plus célèbre prononcée par Jack Twyman au sujet de son amitié avec Stokes n’est pas celle-ci. Les mots de cette maxime sont extrêmement simples. Comme si c’était évident, alors que dans le contexte de l’époque rien ne l’était. Si cette histoire est si forte, c’est aussi par ce qu’elle est le récit d’une complicité entre un homme blanc et un homme noir dans une Amérique ségrégée. Mais cela n’avait pas d’importance pour l’ancien capitaine des Royals qui dit sobrement ceci.
« Maurice était seul, il fallait faire quelque chose, et quelqu’un devait le faire. J’étais le seul à être là, alors je suis devenu ce quelqu’un. »
Une bienveillance ultime qui force le respect. La phrase « Become that Someone » devient même la devise de l’université de St Francis. Deux garçons qui n’étaient pas vraiment de bons camarades ont fini par être les meilleurs amis du monde en dépit des difficultés. Jack Twyman décède en 2012 d’un cancer du sang. Son fils, Jay, raconte que son père, alité, s’agace d’avoir des escarres alors que Mo n’en a jamais eu. Les deux hommes n’ont jamais eu de cesse de se taquiner. Jack avait sûrement peur de se voir traité de mauviette par Maurice, confie-t-il.
Aujourd’hui, la récompense du meilleur coéquipier porte le nom du Twyman – Stokes Teammate of the Year Award. Au regard de cette incroyable et touchante histoire, il ne pouvait en être autrement. C’est toujours un plaisir pour moi de rappeler le souvenir du parcours de ces deux formidables champions. Et pourquoi pas de revoir un jour un Stokes Game afin de perpétuer la mémoire et la bienveillance de cette relation hors du commun et d’aider ceux qui ont besoin de quelqu’un.